«L’antispécisme est un mouvement social de défense des droits des animaux, visant à leur faire reconnaître les mêmes considérations morales que les humains », explique la membre du Comité antispéciste pour la solidarité animale (CASA) de l’UQAM Véronique Mc Neal. Selon elle, l’antispécisme exige d’agir de manière équitable avec les animaux et de leur reconnaître des droits juridiques selon leurs besoins et leurs capacités, comme le droit à la vie. Les antispécistes se positionnent ainsi contre la discrimination basée sur l’espèce. « Donc, à l’opposé du spécisme, qui serait plutôt orienté vers une hiérarchisation des espèces, les antispécistes ne pensent pas qu’ils ont besoin d’exploiter les animaux pour leur survie, et conséquemment, ils pensent que ce serait mal de le faire d’un point de vue moral », précise Véronique.
Guillaume Beauchamp, membre de la Société pour l’antispécisme, le véganisme et l’écologie (SAVE) de l’UdeM, détaille ce propos. « Il ne s’agit pas de l’égalité des droits, mais de l’égalité des intérêts, selon les capacités de chacun à utiliser ses droits. » À titre d’exemple, il avance que le mouvement n’accorderait pas le droit à une éducation gratuite et accessible à des cochons, comme ces derniers n’ont ni la capacité ni l’intérêt de jouir de ce droit. Selon lui, ce sont des droits comme ceux de vivre, de développer des relations ou le droit à la liberté de mouvement que les antispécistes revendiquent.
« Cela implique une reconsidération de la société et une réorganisation de la politique », indique la membre de CASA Marilou Boutet. Selon Véronique et elle, c’est en ce sens que l’antispécisme se distingue du végétalisme, lequel est plutôt dépolitisé et pourrait se définir comme un mode de vie axé sur la consommation. L’arrêt de l’achat de produits d’origine animale est alors vu comme un choix personnel.
La place du militantisme dans le mouvement
« Le militantisme fait partie intégrante de l’antispécisme », affirme Véronique. Selon elle, il vise à exercer une pression sur les institutions gouvernementales, à donner de la visibilité au mouvement et à faire de la conscientisation.
La présidente de la SAVE, Sarah Fravica, se dit favorable à des actions pacifiques pouvant entraîner des arrestations. « Parfois, ça prend du dérangement pour attirer l’attention des gens », explique-t-elle. Elle fait toutefois valoir que l’activisme ne se résume pas à des actes radicaux. « Beaucoup d’actions militantes se font quotidiennement, sans être considérées comme radicales », ajoute-t-elle. Selon Sarah, les actions peuvent prendre la forme de projection de documentaires, de conférences ou de campagnes de visibilité.
Des actions qui divisent
En janvier 2020, des militants antispécistes sont entrés dans le restaurant montréalais Joe Beef, lors du service du souper, en scandant des discours activistes. Au cours du même mois, les restaurants Manitoba et Vin Mon Lapin ont aussi été la cible d’actions militantes, cette fois-ci non revendiquées. De la colle a été insérée dans leurs serrures et une lettre leur a été laissée, comme l’a confirmé la copropriétaire du Manitoba, Elisabeth Cardin, à Quartier Libre. « La lettre, un peu menaçante, disait qu’on avait du sang sur les mains, qu’on était complices du meurtre d’oies », relate Mme Cardin.
Les actions militantes divisent, même au sein du mouvement. Marilou approuve les actes entrepris envers le restaurant Joe Beef ainsi que ceux commis contre les restaurants Manitoba et Vin Mon Lapin. « Ça a beaucoup fait parler et il n’y a pas eu de violence », assure-t-elle. Véronique, pour sa part, les remet en question. Selon elle, le collectif CASA tend à adopter des actions qui ne visent pas directement à culpabiliser les personnes ou les petites entreprises qui ne sont pas antispécistes ou véganes. « Ce genre d’action met la pression sur des individus plutôt que sur des institutions, soutient-elle. Et nous, dans nos actions, on vise à faire pression sur les institutions, notamment gouvernementales. »
Le président des restaurants végétaliens La Panthère Verte, Chaim Shoham, estime qu’il faudrait trouver une manière plus respectueuse de sensibiliser la population. « On pourrait travailler ensemble, partager des idées et créer des repas exceptionnels avec des produits éthiques, biologiques et responsables », propose-t-il. M. Choham estime que le dialogue entre les acteurs devrait primer sur les actions radicales.
Mme Cardin dénonce ces pratiques, qu’elle estime arrogantes et qui, selon elle, éloignent le public du message des activistes. « Les antispécistes devraient encourager les entreprises locales et les restos plus axés sur l’environnement et la conscience alimentaire, comme nous, au Manitoba », suggère-t-elle.
Pourquoi cibler des petites entreprises ?
Des reproches ont été dirigés vers les militants pour avoir ciblé des petites entreprises qui prennent en considération les conditions d’élevage et d’abattage, plutôt que des compagnies qui encouragent l’élevage industriel. « Les entreprises comme McDonald’s vont être difficiles à conscientiser, par rapport à un petit commerce qui fait des efforts au niveau environnemental, défend Guillaume. Puis, on a vu que cela peut leur amener une vague de sympathisants, ce qu’on ne souhaite pas amener aux grosses entreprises. »
Marilou ajoute que des actions pour s’attaquer aux grands commerces sont aussi organisées. Selon elle, ce choix de cible a eu l’avantage de créer davantage de réactions qu’un acte contre une grande société commerciale. « Peu importe le mouvement, c’est impossible de trouver une façon de militer qui va plaire à tous, d’où l’importance de l’aborder sous plusieurs angles », fait-elle valoir.
Les antispécistes rejettent l’idée d’« omnivorisme éthique » (voir encadré). « Je pense que c’est un mythe, de meilleures conditions de vie ne justifient pas une mise à mort, dénonce Véronique. Au contraire, plus les animaux sont heureux, plus ils ont intérêt à vivre. »
Pour les militants antispécistes, quelles que soient les conditions de vie des animaux ou les répercussions environnementales d’une entreprise, rien ne justifie leur exploitation.