L’affaire commence en 2012, dans le cadre de la grève étudiante. Le juge Jean-François Émond rend le 2 mai 2012 une ordonnance qui demande de donner libre accès aux salles de cours de l’Université Laval. Jean-François Morasse, qui avait demandé une telle injonction, décide de poursuivre Gabriel Nadeau-Dubois qui, selon lui, aurait contrevenu à cette ordonnance.
Dans sa décision du 5 décembre 2012, la Cour supérieure énonçait: « Gabriel Nadeau-Dubois a profité de la large tribune qui lui était offerte par le réseau télévisé RDI le 13 mai 2012 pour sciemment inciter les auditeurs à contrevenir aux ordonnances de la Cour, dont celle rendue par le juge Jean-François Émond le 2 mai 2012, commettant par là un outrage au tribunal. »
L’ancien porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante avait notamment dit qu’il trouvait « tout à fait légitime que les gens prennent les moyens nécessaires pour faire respecter le vote de grève » des associations étudiantes et queles piquets de grève était tout aussi légitimes pour y arriver.
La Cour supérieure avait alors prononcé à l’encontre de Gabriel Nadeau-Dubois une peine de 120 heures de travaux communautaires. Ce dernier a ensuite décidé de contester la sanction en cour d’appel.
L’outrage au tribunal
Il s’agit d’une infraction prévue aux articles 49 à 54 du code de procédure civil. Elle est punie d’une peine pouvant aller jusqu’à 5000 $ et d’un an d’emprisonnement.
Cette infraction peut être qualifiée dans trois cas :
– le fait d’agir de manière à entraver le cours normal de l’administration de la justice ;
– le fait de porter atteinte à l’autorité et à la dignité du tribunal ;
– le fait de contrevenir à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou de l’un de ses juges, dans ce dernier cas, l’accusé doit avoir pris connaissance de l’injonction et de sa portée.
C’est ce dernier cas qui est en cause dans le cadre de l’affaire opposant Gabriel Nadeau-Dubois à Jean-François Morasse.
L’acquittement par la Cour d’appel
La Cour d’appel dans sa décision du 21 janvier 2015 a finalement prononcé l’acquittement de Gabriel Nadeau-Dubois. Elle a estimé que l’accusation d’outrage au tribunal n’avait pas été prouvée hors de tout doute raisonnable et de ce fait ne pouvait être qualifiée.
La Cour a rappelé que Gabriel Nadeau-Dubois devait avoir pris connaissance de l’ordonnance du tribunal. Or la Cour supérieure, pour justifier cette connaissance, s’était appuyée sur une déclaration de Léo Bureau-Blouin, alors président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, qui avait affirmé la nécessité de respecter les injonctions.
La Cour d’appel a mentionnée le 21 janvier dernier: « On peut apprécier la réponse donnée par M. Bureau-Blouin ou la préférer à celle de l’appelant [M. Nadeau-Dubois], mais cela importe peu lorsque l’exercice consiste à vérifier si la réponse de ce dernier comporte la preuve hors de tout doute de sa connaissance de l’ordonnance. »
La Cour d’appel a donc estimé que la déclaration de l’un ne pouvait pas conditionner la connaissance de l’autre et qu’en l’absence de preuve infaillible, elle ne pouvait qualifier l’outrage au tribunal. Elle a donc prononcé l’acquittement.
Vers un appel à la Cour suprême du Canada ?
À la suite de la décision, Jean-François Morasse a annoncé son intention de porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada.
Pour porter la décision devant la Cour suprême, il faut faire valoir une question d’importance pour le public ou une question importante de droit. C’est la Cour suprême qui déterminera si elle accepte ou non d’entendre l’affaire.
La décision de la Cour d’appel a rappelé les principes généraux de l’outrage au tribunal : celui-ci est valide si l’accusé est ciblé de façon très précise dans l’ordonnance à laquelle il contrevient. Dans le cadre de la grève étudiante, l’ordonnance émise ne visait pas spécifiquement Gabriel Nadeau-Dubois, mais plutôt les étudiants susceptibles de bloquer l’accès aux salles de classe, comme le mentionne le professeur à la Faculté de droit de l’UdeM, Pierre Trudel. « Exprimer un désaccord au sujet d’une décision ou d’une ordonnance d’un tribunal n’est pas une faute dans un pays qui respecte la liberté d’expression », estime-t-il.
Comme le mentionne la Cour d’appel au paragraphe 74 de la décision, « le droit de faire connaître au public le plus large possible la position que l’on défend, avec force et conviction, dans un conflit donné, relève de la liberté d’expression protégée par les chartes canadienne et québécoise et du droit sous-jacent à l’information ».
Bien que la frontière puisse être ténue, l’outrage au tribunal vise un cas très spécifique et encadré qu’il ne faut pas confondre avec le fait d’exprimer ses opinions. Il semble donc que si la Cour suprême décide d’entendre la cause, elle ouvrira la voie à un débat sur les limites de la liberté d’expression dans une société libre et démocratique.