Culture

L’orchestre sort de ses murs

Sur la scène de la salle Claude-Champagne, une soixantaine d’étudiant·e·s sont assis, répartis en demi-cercle autour du chef d’orchestre Jean-François Rivest, debout sur une plateforme surélevée. Décontracté, celui-ci porte des jeans noirs ajustés ainsi qu’une chemise à manches courtes et regarde les longues partitions disposées sur son lutrin, qu’il annote sporadiquement pendant que l’ensemble répète. Des étuis d’instruments aux formes improbables jonchent des tables installées provisoirement à la première rangée de sièges à l’occasion de la répétition. 

 

«Je considère les musiciens comme des collègues, des professionnels.»

Jean-François Rivest, chef d’orchestre de l’OUM

Tous et toutes se préparent en vue du grand concert pop symphonique avec l’auteur- compositeur-interprète Pierre Lapointe, qui a eu lieu au campus MIL le 1er octobre. Cet événement faisait partie de la cinquantaine d’activités proposées dans le cadre des Grandes retrouvailles de l’Université de Montréal, première réunion de l’ensemble des diplômé·e·s de l’UdeM, où plus de 4 000 personnes étaient attendu·e·s entre le 28 septembre et le 2 octobre.

L’ambiance informelle de la classe jure avec le côté cérémonial qu’impose habituellement une salle de concert comme la salle Claude-Champagne, avec ses plafonds hauts, ses balcons dominants et son immense orgue en fond de scène. Les lumières au plafond éclairent le groupe froidement, au grand dam du chef d’orchestre qui appelle le technicien de la salle. «Est-ce qu’on peut faire quelque chose avec les lumières? demande-t-il. On va mourir de tristesse!»

Violoniste de formation, M. Rivest est le fondateur, le directeur artistique et le chef principal de l’OUM, l’un des grands ensembles de la Faculté de musique. Il entame sa trentième année de service à l’Université, où il donne le cours Orchestre. Les musicien·ne·s qu’il dirige dans le cadre de ce cours ont différents niveaux de scolarité, allant du baccalauréat au doctorat, et ne sont pas nécessairement inscrits à la Faculté de musique. Certain·e·s élèves demeurent dans l’Orchestre pendant cinq ans, quand d’autres, comme les étudiant·e·s en échange, ne restent qu’une seule session.

Jouer ensemble

Le chef d'orchestre Jean-François Rivest répond aux questions de ses étudiants pendant la pause.
Le chef d’orchestre Jean-François Rivest répond aux questions de ses étudiants pendant la pause de la répétition.

 

Une atmosphère de camaraderie règne dans le cours de M. Rivest, tutoyé par ses étudiant·e·s, qui l’appellent par son prénom. « Maintenant, Je déteste ma vie », annonce-t-il à sa classe en deuxième partie de répétition. Entre le bruissement des partitions de ses élèves qui se préparent, le professeur plaisante. «Pas moi particulièrement, c’est le nom de la chanson! », précise-t-il en s’esclaffant.

Le chef d’orchestre, au rire franc et guttural, sourcille quand son titre de professeur est mentionné. « Je considère les musiciens comme des collègues, des professionnels, clarifie-t-il. Je me sens moins professeur que chef d’orchestre. C’est vrai que je suis professeur du cours Orchestre, mais ça consiste à diriger les étudiants comme des adultes, à les prendre comme des vrais musiciens. » Pour le violoniste, le cours est avant tout un laboratoire où ses étudiant·e·s apprennent leur futur métier.

«Il y a des étudiants de l’OUM qui se font appeler pour aller jouer dans des orchestres!», s’enthousiasme-t-il. C’est le cas de l’étudiante en dernière année au baccalauréat en interprétation classique My-Lan Vu, qui a participé à la saison 2018 de l’Orchestre de la francophonie en tant que troisième basson. Celle qui assume le rôle de basson solo pour le concert est décrite par son chef comme une «vétérante» de l’Orchestre symphonique de l’Université.

La bassoniste My-Lan Vu

 

My-Lan Vu, qui maîtrise également le contre-basson, le piano et la guitare, a participé à des concerts de l’OUM via un programme spécial offert dans son école secondaire et a fait son entrée dans l’Orchestre symphonique en 2016. « C’est stressant d’être dans l’orchestre, c’est comme un travail, témoigne-t-elle. Mais pas stressant négativement. » Elle décrit son chef comme «flexible», bien que «minutieux et exigeant».

Second violon dans l’Orchestre, Paul Karekezi est diplômé du Conservatoire de Bordeaux et est arrivé à Montréal cet automne pour effectuer une maîtrise en interprétation classique à la Faculté de musique. Il partage le même avis que la musicienne et ajoute que M. Rivest dirige son orchestre d’étudiant·e·s comme il le ferait avec un ensemble professionnel. «Dès la première lecture, il a demandé beaucoup de choses très vite, à l’image d’un orchestre professionnel», précise-t-il.

Vêtu·e·s de leurs espadrilles et de leurs jeans, les étudiant·e·s de l’OUM forment un ensemble discipliné et souvent symbiotique. Pendant le titre Nos joies répétitives de Pierre Lapointe, les violonistes dressent leurs instruments d’un même geste et commencent à pincer les cordes du doigt. M. Rivest arrête sèchement l’orchestre au bout de deux mesures. « On déduit la qualité d’un ensemble à la qualité de ses pizzicatos* ! », clame-t-il en levant l’index, avant d’expliquer à ses étudiant·e·s comment exécuter le mouvement correctement. À part, le chef d’orchestre s’émerveille face aux capacités de ses étudiant·e·s. « Ils peuvent tellement en donner, c’est incroyable ! s’enthousiasme-t-il. Si on leur en demande plus, ils vont en donner plus. Je leur propose donc de l’escalade. »

La pop symphonique: une part du métier

Le violoniste Paul Karekezi (au centre).

 

À l’occasion du spectacle du 1er octobre, le répertoire de Pierre Lapointe a été adapté pour un ensemble orchestral. Deux répétitions d’une durée de 2 h 30 étaient prévues avec l’auteur- compositeur-interprète la semaine précédant le concert, un temps amplement suffisant, selon le chef d’orchestre de l’OUM. Accompagner un chanteur populaire ou un soliste n’est pas très différent, pour le professeur. « Je me sens galant lorsque j’accompagne un soliste, je le suis du mieux que je peux et je dirige mon orchestre en conséquence », poursuit-il. Le défi est alors un peu moins technique pour les musicien·ne·s de l’orchestre.

«En général, c’est assez facile de jouer un répertoire populaire, parce que les gens ne veulent pas écouter à quel point les musiciens sont bons, ils veulent écouter le chanteur», explique My-Lan Vu. «C’est de l’accompagnement, donc les parties qu’on a sont moins chargées», opine Paul Karekezi. Le violoniste mentionne toutefois que pour un tel concert, il s’exercera tous les jours, pour un total d’environ 20 heures de pratique en plus des répétitions d’orchestre. Jouer en plein air apporte aussi son lot d’adaptations pour les élèves, selon le musicien, qui explique que les techniques de jeu sur les instruments à cordes doivent être ajustées en fonction de la température extérieure.

 

My-Lan Vu accompagnée de ses collègues du département des bois.

 

«Pour l’apprentissage professionnel de mes étudiants, c’est fantastique, estime M. Rivest, qui a longtemps dirigé les concerts de musique populaire à l’Orchestre symphonique de Montréal, où il a été chef en résidence de 2006 à 2009. Quand on est dans le milieu, on fait des concerts de musique populaire régulièrement, ça fait partie de l’offre.»

Le grand concert est aussi une façon d’aller à la rencontre d’un nouveau public, selon My-Lan Vu et Paul Karekezi. « Moi, j’adore ! s’enthousiasme la bassoniste. C’est surtout pour le public, parce que l’énergie est tellement différente. [Lors des concerts de] musique classique, les gens sont bien assis, ils ne toussent pas, ils n’applaudissent pas entre les mouvements. Un concert plus populaire, les gens crient dès que les chansons finissent ! »

 

Retour sur le concert

Crédit photo: Lori Isbister

 

Le grand concert du 1er octobre s’est déroulé par temps doux mais venteux, une « première vraie soirée d’automne», selon Pierre Lapointe. Les musicien·ne·s avaient troqué leurs habits de soirée pour des vêtements plus chauds, tandis que l’auteur-compositeur-interprète arborait un manteau multicolore, fidèle à ses extravagantes habitudes vestimentaires. La foule attentive, composée de familles, de fans de l’artiste et de membres du Département de musique, a assisté à un spectacle d’une durée de 1 h 30, incluant deux rappels, dont le succès Deux par deux rassemblés en duo piano-voix, sur lequel le public a été invité à chanter.

L’ensemble a interprété les titres de l’album La science du cœur, ainsi que les chansons Je déteste ma vie et une chanson hommage au compositeur allemand Kurt Weill. 

* Manière de jouer d’un instrument à cordes qui consiste à en pincer les cordes de doigt. 

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