L’option créative

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Par Vanessa Gauvin-Brodeur
mercredi 9 février 2011
L'option créative

Cet article bénéficiera-t-il d’une protection sur le droit d’auteur ? Lorsque la question sur le droit d’auteur reprend le trône à la une des quotidiens, débats et solutions s’imposent. L’option Creative Commons (CC) peut venir à la rescousse.

Entre des artistes en colère qui campent au pied de la colline du Parlement et qui s’élèvent contre le projet de loi C-32, une industrie du disque qui ne cesse de couler dans les abysses de la faillite et l’ère numérique 2.0, qui force le FBI à promettre la prison aux pirates du DVD « blockbusterien », le droit d’auteur est un sujet qui attise les passions.

Repenser le système

1979 : Video killed the radio star. Le succès des Buggles est maintenant chose du passé. En 2011, Internet prend le dessus sur tout le reste. Dans un article paru sur son blogue, le chroniqueur de La Presse, Alain Brunet, se faisait récemment l’écho des «conséquences économiques découlant de la révolution numérique». Tenant des propos propices à faire empourprer le patron de Sony, l’artiste montréalaise Céline Semaan Vernon, organisatrice du premier Salon montréalais des Creative Commons, explique qu’il faut «oublier la distribution de l’objet non pas parce qu’il n’a pas de valeur, mais parce que la culture est dématérialisée». Gilles de Saint-Exupéry, qui termine sa maîtrise en droit des technologies de l’information à l’UdeM, confirme cette réalité en expliquant que l’expansion d’internet oblige à repenser le système au complet. «Le contrôle de la distribution grâce à la vente individuelle d’un CD n’existe plus.»

«Le Creative Commons vient remplir le gris moyen entre deux choses : le domaine public, où tu n’as aucun droit en tant qu’auteur, et le copyright, où tous les droits en tant qu’auteur te sont donnés. Avec les CC, les auteurs possèdent “certains droits”», commente Céline Semaan Vernon. Ces droits ne sont pas des ablations forcées par la résignation des artistes par rapport à Internet, mais plutôt des licences choisies par les auteurs pour permettre à ceux qui voudraient utiliser leurs oeuvres de le faire sans inquiétude juridique. Cette solution permet également aux artistes de s’autoproduire et se promouvoir librement.

Bordel et discussion

«La situation actuelle est sens dessus dessous. » Vincent Gautrais, professeur agrégé et titulaire de la Chaire de droit de la sécurité et des affaires électroniques de l’UdeM, semble être plutôt inquiet. Renchérissant sur le problème posé par l’apparition des nouvelles technologies, et donc de la disparition du support matériel, M. Gautrais souligne que ce problème est aussi économique. «On ne sait plus comment s’assurer que l’auteur est bel et bien rémunéré et que l’utilisateur a payé. » Selon lui, l’option des Creative Commons peut être une bonne solution dans l’hypothèse où les artistes peuvent gagner leur vie grâce aux produits dérivés «comme les concerts, par exemple, mais c’est une situation minoritaire et la question reste principalement économique. Notre système devrait adopter une certaine mutualisation de la culture et faire en sorte que cette dernière soit subventionnée comme un élément essentiel à la société.» Cette mutualisation devrait impliquer trois acteurs primordiaux : industrie, utilisateurs et créateurs, que les gouvernements devraient automatiquement inclure dans le débat sur la création des lois les concernant. «La réponse à un droit d’auteur en harmonie avec la société et ses besoins est la collaboration, la prise en compte des intérêts de ces trois grands et la compréhension des principes qui en découlent, comme la rentabilité et l’accessibilité. Le débat est mal compris, ajoute Gilles de Saint-Exupéry, mais ce n’est pas en bloquant la diffusion de la culture qu’on va s’en sortir. » Une discussion qui s’annonce périlleuse. Avec la liberté d’expression 2.0, version corrigée 2011, le vinyle peut toujours attendre avant de faire son grand retour.

L’AVIS DU GROUPE MISTEUR VALAIRE

Guillaume Déziel, le gérant du groupe québécois Misteur Valaire, constate sans équivoque la mort du CD. «Le bien culturel aujourd’hui est immatériel et incontrôlable.» Devant cette réalité, le gérant et son groupe de musiciens ont réfléchi au contrôle qu’ils peuvent avoir sur la musique de Misteur Valaire. «Avant, le réseau de la distribution était très hermétique. Il faut être lucide. Surtout si tu débutes dans le milieu, ça ne sert à rien d’enfermer ta musique dans un boîtier plastique au magasin ; personne ne l’écoutera. Mieux vaut privilégier le bouche-àoreille, être son propre agent promotionnel et récompenser de ce fait, les fans qui vont vraiment payer pour ta musique en ligne.» Tout comme celles du groupe Radiohead, les chansons de Misteur Valaire se vendent en ligne sous contribution volontaire du consommateur et sous le signe d’une licence CC. «Il faut être créatif dans sa façon de faire et d’exploiter sa musique», souligne Luis, percussionniste du groupe Misteur Valaire. La licence Creative Commons semble être une bonne solution pour les musiciens. «Entre tous droits réservés et aucun droit réservé, il y a toute sorte de teintes de gris. Les CC, ce n’est pas une solution de rechange, mais un outil englobant l’action d’une réalité naissant sur le Web », explique Guillaume. Le dernier album de Misteur Valaire mis en ligne se vend en moyenne 3 $. « Nous sommes, bien sûr, conscients qu’un bon nombre de personnes ne paient pas, et pourtant les redevances et la demande sur Internet sont pratiquement proportionnelles à celles des magasins», ajoute Luis. «Ce qu’il va falloir changer, c’est le fossé entre le moment où tu crées et celui où tu vis de ton art, de ton métier», rêve Guillaume.

LE CAS WIKIPÉDIA

Ayant fait son apparition en 2001 aux États-Unis, l’influence des CC se répand aujourd’hui légalement dans 73 pays. Creative Commons prétend «développer, encourager et endosser les moyens techniques et légaux qui maximisent la créativité, le partage et l’innovation digitale». Actuellement, le contenu de Wikipédia est protégé, ou plutôt, diffusé, grâce à des licences CC. Wikipédia permet à ses utilisateurs de reproduire et redistribuer publiquement son contenu à condition d’en citer la source. La modification des articles est également permise librement, si le résultat est rediffusé sous la même licence Creative Commons que la précédente. Le premier Salon montréalais des Creative Commons, qui regroupait juristes, artistes, professeurs, entrepreneurs Web et grand public, s’est tenu à la Sala Rossa, le 21 décembre dernier.