Culture

L’opéra porteur de légendes

Quartier Libre (Q. L.) : Quelle a été la genèse de ce projet ?

 Alejandra Odgers (A. O.) : Depuis plusieurs années, je pensais composer un conte musical pour enfants où la musique serait part intégrante du narratif, comme un personnage principal. En 2020, Nicole O’Bomsawin a écrit un livre de légendes abénaquises, 8tlokaw8ganal : Légendes. J’ai alors eu l’idée d’en faire une version musicale. C’est ce projet que nous avons proposé pour le prix Mécénat.

Q. L. : Comment vous est venue l’idée de proposer votre candidature pour l’écriture d’un opéra avec le prix Mécénat ?

 A. O. : Au départ, je ne pensais pas postuler, parce que je n’ai jamais écrit d’opéra, mais en lisant l’appel d’offres, j’ai remarqué que la définition d’opéra était assez large. Nous avions le projet de mettre ces légendes en musique avant même d’entendre parler du Prix 3 Femmes. Si nous nous permettions de diviser l’opéra en légendes plutôt qu’en actes, notre idée se prêtait bien au projet.

Nicole O’Bomsawin (N. O.) : J’avoue que j’étais surprise par l’idée, mais c’est un défi super intéressant ! La musique fait partie de l’ADN abénaquis, et ça nous offre une présence nouvelle sur la scène musicale. Je n’ai pas de doute qu’Alejandra sera capable de traduire nos musiques traditionnelles dans ce contexte. Elle l’a déjà fait !

«La musique fait partie de l’ADN abénaquis, et ça nous offre une présence nouvelle sur la scène musicale.»

                                                                                                Nicole O’Bomsawin, librettiste

Q. L. : Vous avez collaboré pour la première fois sur Toni alossaan, une pièce pour orchestre inspirée de mélodies abénaquises et composée dans le cadre du doctorat d’Alejandra, qui a remporté le prix de l’Orchestre de l’UdeM (OUM) en 2007. Dans quel contexte vous êtes- vous rencontrées ?

 A. O. : Je suis allée à la Maison amérindienne de Mont-Saint-Hilaire, où Nicole racontait des légendes abénaquises dans le cadre d’un spectacle de chant et de danse, et je suis tombée en amour avec la cosmogonie abénaquise*. Je l’ai invitée chez moi pour en apprendre davantage et c’est cet entretien qui a inspiré Toni alossaan. Nous avons aussi collaboré sur la composition d’une berceuse inspirée d’un chant abénaquis. Depuis, nous gardons contact !

Q. L. : Alejandra, d’où vient votre intérêt pour la cosmogonie abénaquise ?

 A. O. : J’ai toujours eu un intérêt marqué pour les différentes cultures. Au Mexique, mon pays natal, la musique des Mayas et des Aztèques s’est perdue avec la colonisation parce qu’elle était étroitement reliée à la reli- gion et à la culture des peuples aborigènes, ainsi les Espagnols n’ont pas permis sa transmission. Cette musique est perdue, et on regrette de ne pas y avoir accès au Mexique. Pour moi, rencontrer Mme O’Bomsawin et parler avec elle des chants abénaquis est donc un bonheur ! C’est l’oc- casion d’entrer en contact avec les musiques des Premières Nations, ce qui est impossible au Mexique.

Q. L. : Nicole, quelle est l’importance de la musique dans les légendes et les contes abénaquis ?

N. O. : En abénaquis, il n’y a pas de mot pour dire « bruit », tous les sons sont de la musique ! Selon nos légendes, la force créatrice du monde, qu’on appelle le « Grand mystère », a d’abord créé un instrument de percussion, un hochet. C’est en jouant de ce hochet que ce « Grand mystère » a eu la vision du monde, parce que tout ce qui est sur la Terre a un rythme. Pour nous, les coassements des grenouilles l’été ou le bruisse- ment des grillons, c’est une chorale ! Et la première chose que le peuple abénaquis a faite en naissant selon nos légendes, c’est de chanter et de danser. D’ailleurs, nous enseignons encore le chant de la création aux enfants de la communauté.

«Dans notre opéra, chaque légende sera comme un acte.»

                                                                                              Alejandra Odgers, compositrice

Q. L. : Maintenant que vous avez remporté le prix Mécénat, quel sera le processus de création de votre opéra ?

N. O. : Pour moi, écrire le texte du libretto**, c’est tout un exercice de synthèse ! Pour l’instant, j’ai choisi les légendes qui constituent l’opéra et je travaille sur une version longue du texte, que je vais envoyer à Alejandra pour qu’elle commence à penser à la musique. Ensuite, je prévois de faire une version plus courte du texte et enfin, d’écrire le libretto.

A. O. : C’est une collaboration continue, car nous avons des rencontres régulières avec la compositrice et dramaturge Luna Pearl Woolf, mais tout commence par le travail de Mme O’Bomsawin sur le libretto. Dans notre opéra, chaque légende sera comme un acte. Une fois le texte écrit, je pourrai commencer à composer la musique, et au printemps, nous aurons une première répétition avec des musiciens pour voir ce que ça donne.

Q. L. : Quel est l’avantage d’une telle répétition avec musiciens comme celle offerte par la bourse du prix Mécénat ?

A. O. : Cette répétition est un privilège pour une compositrice, parce qu’on peut rarement entendre nos pièces jouées avant la représentation. On peut la jouer au piano et s’imaginer le reste ou encore utiliser des logiciels, mais ce n’est pas comme de l’entendre jouée par des musiciens, surtout lorsqu’on compose pour la voix. Développer une oreille pour avoir une idée de ce qu’on compose avant de l’entendre jouer est d’ailleurs un aspect de la formation de compositeur.

N. O. : La répétition nous permettra aussi de présenter le travail fait d’ici là devant un public afin de peaufiner le tout. Je veux inviter des amis abénaquis et des musiciens de la communauté pour savoir ce qu’ils en pensent. Plusieurs d’entre eux sont très curieux de savoir ce que nos légendes peuvent devenir lorsqu’on en fait un opéra.

 

*Partie des mythologies qui racontent la naissance du monde et des humains.

**Texte littéraire qui accompagne une œuvre musicale comme un opéra ou une opérette.

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