Les rentrées universitaires de l’UdeM et de l’UQAM se sont déroulées dans un climat d’agitation marqué par des interventions policières. Rencontre avec Finn Makela, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et directeur des programmes de common law et de droit international, qui livre une analyse critique de la loi 12 mise en oeuvre pour mettre fin au conflit étudiant.
Quartier Libre : Que pensez-vous de l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi 12 en réponse au conflit étudiant?
Finn Makela : La loi 12 et le discours qui entoure son adoption témoignent d’un réel paradoxe dans la formulation de la loi. Le gouvernement libéral prétend protéger le droit à l’éducation supérieure. Mais il est à noter qu’en droit québécois, le droit fondamental à l’éducation supérieure n’existe pas en soi. La Charte québécoise accorde un droit à l’instruction publique. Les tribunaux l’interprètent comme le droit à l’instruction à l’école primaire et secondaire. Cependant le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît le droit de toute personne à l’éducation supérieure. Ce qui est ironique dans ce Pacte, c’est qu’il prévoit que tous les États doivent prendre les mesures nécessaires pour rendre l’éducation post-secondaire le plus accessible possible, notamment grâce à la gratuité scolaire.
Or, le gouvernement refuse la gratuité scolaire, mais il invoque un prétendu droit à l’éducation supérieure afin de mettre fin au débat concernant la hausse des frais de scolarité. Le discours du gouvernement libéral se veut progressiste en défendant le droit fondamental à l’éducation. Il s’assoit pourtant sur un raisonnement syndical et rétrograde.
Q. L. : Certains dénoncent l’interdiction du droit manifester prévu à l’article 16 de la loi 12. Le droit de manifester n’est-il pas protégé en vertu de la Charte des droits et libertés ?
F. M. : Contrairement à ce que certains partis politiques ont prétendu, cette loi ne rend pas les manifestations illégales mais vise les organisateurs, dans les cas où ils n’auraient pas donné leur trajet au préalable à la police et où la manifestation compterait plus de 50 personnes. Il est vrai que cette loi limite les libertés d’expression et d’association. Les organisateurs se voient dans l’obligation de payer des amendes élevées (jusqu’à 125000$).
Cela dénote une dérive autoritaire puisqu’il y a là un désir de mettre fin à la perturbation sociale par l’intervention policière et par la répression au lieu de résoudre le conflit sous-jacent.
Q. L. : Les 27 et 28 août derniers, l’administration de l’UdeM a fait intervenir la police dans ses murs. La loi 12 et le droit criminel ont été invoqués. Comment analysez-vous la réaction de l’administration ?
F. M. : Il est difficile de savoir quand et à qui s’applique la loi 12. Cependant, même si les universités sont de nature publique ou parapublique, leurs propriétés sont de nature privée – d’où leur droit de demander la police en renfort. Le corps policier s’appuie sur le droit criminel, ce qui lui donne la légitimité d’utiliser toutes sortes d’outils tels que l’arrestation en cas d’attroupement illégal ou d’entrave au travail d’un agent de la paix. Évidemment, la nature pénale du code criminel et de la loi 12 est foncièrement mal adaptée à la résolution de conflits de nature sociale et politique.
Q. L. : Quelle est votre opinion concernant le débat sur la légalisation d’un droit de grève pour les associations étudiantes ?
F. M. : Avant d’entamer tout débat sur le droit de grève des associations étudiantes, il faut nous attarder sur deux points importants. Premièrement, le principe de démocratie majoritariste [selon lequel les décisions prises par plus de la moitié du groupe ont valeur d’obligation pour tous] a-t-il sa place dans le milieu étudiant? En d’autres termes, est-il toujours possible d’imposer une décision prise par la majorité aux étudiants dissidents qui ne sont pas d’accord avec la décision collective? Malgré la loi 12, les agissements du gouvernement et des universités au Québec, aucun principe de droit n’empêche les étudiants de faire grève et donc de refuser collectivement de se présenter à leurs cours pour faire pression.
Deuxièmement, ces mouvements de grève collectifs soulèvent la question du rôle des universités. Ont-elles le droit d’adopter des sanctions disciplinaires contre les étudiants qui décident de ne pas participer aux cours dans le cadre d’une décision démocratique adoptée lors d’une assemblée générale ? La loi n’est pas explicite quant à la marche à suivre des universités vis-à-vis des étudiants grévistes.