Culture

L’odyssée du premier samedi du mois

Le jour de gloire est arrivé : ma paye vient de m’être virée . Nous sommes samedi et je me suis levé à 14 heures du matin – autant dire aux aurores. Je m’habille en vitesse, avec mon boxeur des grands soirs que j’enfile sous mes everyday baggy jeans. Aux pieds, sneakers de seconde zone : je connais trop les piétinements des retraités affamés de jazz ou des petites avides de megamix. Coton ouaté sur le dos, et casquette 59Fifty vissée sur le crâne, je suis paré pour ma croisade. Cela peut paraître superficiel, mais il s’agit tout de même de ne pas flancher dans les allées du temple de la consommation.

Je sors de chez moi, démarre ma voiture et la laisse monter à température: quelques secondes de calme pour sélectionner le disque qui va rythmer mon périple. Aujourd’hui, ce sera The Warriors Code, des Dropkick Murphys, du bon punk rock celtique. Son à fond, fenêtres ouvertes et clope au bec, je suis un douche heureux. Une quinzaine de minutes en excès de vitesse plus tard, je suis arrivé.

Je pousse la porte, la démarche assurée, et fonce vers les premiers bacs en vue, ceux des liquidations. Du bonheur en petites boîtes rectangulaires… et à moins de 6 ou 7 piasses la pièce. Je deviens frénétique, je sélectionne des disques par paquets de trois ou quatre, et tout y passe, des obscures compilations de disco-funk aux EP d’indie-rock anglais. Un peu de rap (on ne se refait pas), mais aussi de la chanson, de la soul et de la country. Je suis comme sous LSD, les néons m’éblouissent et les pochettes impriment une mosaïque multicolore dans mon esprit. Mon environnement danse, mais je sais rester imperturbable dans ma quête.

Une douzaine d’albums sous le bras, je me faufile vers les bacs «classiques». Première étape, les imports. Quelques-uns méritent mon attention, ils rejoignent la pile que je forme sous mon aisselle. De la même manière méthodique, je fouille tous les bacs qui peuvent m’intéresser, me retrouvant avec une vingtaine de CD en main.

Le temps de passer la commande de quelques raretés ou autres éditions spéciales et je me retrouve à la caisse. Je tente de pronostiquer le montant de ma facture, mais cela m’importe peu, je sais que je saigne mon compte en banque, mais j’en suis heureux. Mon «tas» se retrouve empaqueté dans le genre de sac qui contient généralement des appareils photo, des accessoires de bureautique. Une fois dehors, j’en tire un au sort, il s’agit de Diana Ross et des Supremes. Impatient, j’attaque l’emballage avec les dents, mes incisives dérapent sur le plastique, je me plante l’angle du boitier dans la gencive. Je peste, mais ne tiens pas en place. Il faut que je l’ouvre. Clés, ongles, tout y passe, avant de remarquer l’ouverture facile… Baby love va bercer mon retour automobile. Je ne suis plus pressé. Je me sens bien, rassasié. Tout est parfait. J’apprécie le moment.

Il n’est pas loin de 17 h quand j’atterris chez moi. Je range les disques que je connais, que j’ai déjà écoutés mille fois en MP3. Un seul doublon, aujourd’hui, Paris sous les bombes. Il ira à mon petit frère. Au tour de l’inconnu d’être traité. J’allume le PC, et, en parcourant les livrets, je télécharge chacun des disques illégalement. Jamais je ne prendrais le risque de rayer mes originaux. Enfin, ils trouvent leur place dans mon étagère, antre de mon amour musical et autel de la contemplation.

HMV peut continuer à fermer ses succursales*, cela m’importe peu. Sans me réjouir des licenciements, je veux sauver la musique, et non son industrie. Jamais je ne payerai pour un MP3, même si c’est principalement ce que j’écoute. Qu’on me supprime mon objet de culte, j’achèterai des tee-shirts dans les concerts.

L’histoire de cette chronique (tout comme mes prétendus revenus) est un souvenir d’un autre temps. Ma boulimie discographique, elle, est bien actuelle.


* : Le détaillant de musique et de jeux HMV a annoncé au début du mois prévoir la fermeture de 60 magasins au Royaume- Uni au courant de 2011. Le cours de ses actions a alors chuté de 25 %


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