Le périple du complexe inachevé pourrait prendre fin avec l’arrivée du campus Normand-Bethune. Le gouvernement du Québec a annoncé le 16 décembre dernier l’installation de l’École de santé publique de l’UdeM (ESPUM) et la construction de condominiums sur l’ancienne propriété de l’UQAM. Cette revitalisation est bien accueillie dans le quartier du centre-ville de Montréal.
Le campus Norman-Bethune sera réalisé en deux phases bien distinctes. L’ESPUM s’installera la première sur le site de l’ancienne gare d’autobus, déménagée au rez-de-chaussée du nouvel édifice. L’ESPUM sera suivie de l’Institut de santé publique du Québec et de la Direction régionale de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal.
Parallèlement à cette annonce, on apprenait la mise en vente des étages supérieurs de la toute nouvelle gare d’autobus, qui ne forment pour l’instant qu’une structure abîmée par les intempéries. On lancera donc sous peu un appel d’offres afin de trouver preneur et de définir l’avenir de cette portion du projet.
L’UdeM perçoit le projet comme une excellente occasion de concentrer les énergies des experts du domaine, selon Flavie Côté, conseillère en relations avec les médias pour l’Université. « Ce qui est particulièrement intéressant, c’est qu’on retrouvera au même endroit ceux qui trouvent des solutions aux problématiques et ceux qui les mettent en place. Pour l’instant, le campus est plutôt virtuel», souligne-t-elle. Elle ajoute que cette concentration d’acteurs du domaine attirera sans aucun doute des spécialistes et des étudiants de partout dans le monde.
Du côté des étudiants, c’est avec beaucoup d’espoir qu’on accueille la nouvelle. L’Association des étudiants et étudiantes de santé publique de l’UdeM considère ce changement comme bénéfique pour l’Université et pour la communauté montréalaise. Ils se disent ravis à l’idée d’occuper des locaux modernes et de pouvoir suivre tous leurs cours au même endroit. Seul nuage à l’horizon selon eux: certains étudiants devront multiplier les déplacements, puisque certains laboratoires demeureront à Roger-Gaudry sur le campus principal.
La porte-parole de l’UQAM, Francine Jacques, refuse de commenter l’événement. « Nous sommes toujours liés par le sceau de la confidentialité à l’entreprise BUSAC Immobilier, autrefois grande responsable du projet de l’îlot Voyageur, explique-t-elle. Jusqu’à ce que le gouvernement reprenne complètement l’affaire, l’UQAM devra donc demeurer discrète.»
Revitaliser une zone difficile
Les gens d’affaires du quartier accueillent avec soulagement la résurrection de cette zone. Yves Bolduc, directeur du Regroupement des commerçants et des propriétaires de la rue Ontario, applaudit la renaissance de ce site quasi abandonné.
« L’îlot est un passage obligé dans le secteur et se trouve en plein à la porte d’entrée de celui-ci, en faisant un emblème peu accueillant », précise-t-il. M. Bolduc mentionne également les difficultés que les commerçants ont rencontrées ces dernières années. Ils ont, entre autres, dû jongler avec d’interminables travaux.
Enthousiastes à l’idée de cette nouvelle effervescence, les commerçants soulignent leur désir de s’impliquer dans le projet. C’est surtout la très probable conversion en condominiums des étages supérieurs de la gare ainsi que le stationnement souterrain de 400 places, présage d’un développement des affaires dans le secteur, qui retient leur attention.
Les citoyens semblent eux aussi satisfaits d’entendre que le chantier reprendra enfin. Sébastien Demers, résident du quartier, dit recevoir une trentaine de visiteurs étrangers chaque année. « En arrivant de l’aéroport, la première chose qu’ils voient de Montréal, c’est cette structure morne. C’est loin d’être flatteur pour notre ville », déplore-t-il. L’arrivée de l’UdeM sur les lieux est également une bonne nouvelle puisqu’il s’agit d’un établissement jouissant d’une bonne réputation. « La construction de condominiums pourra sans aucun doute rafraîchir ce secteur difficile de la ville, actuellement aux prises avec des problèmes d’itinérance », ajoute M. Demers.
Six ans de traversée du désert
2005 : Lancement du projet de l’îlot Voyageur par l’UQAM, avec son partenaire d’affaire, BUSAC. On veut alors y installer résidences étudiantes, bureaux, stationnement souterrain et, surtout, salles de classe afin de pallier le manque d’espace à l’Université.
2006 : Début des travaux 2005 à 2007 : Le budget de 325 millions de dollars , voté par le conseil d’administration, passe à 406 millions. Les erreurs de gestion de Rock Denis, alors recteur de l’UQAM, ainsi que des emprunts cachés au conseil d’administration seraient en cause.
Printemps 2007 : Il manque 200 millions pour poursuivre le projet. L’explosion des coûts de construction et les problèmes financiers de l’Université forcent l’interruption du chantier.
Octobre 2008 : Des subventions totalisant 265 millions sont octroyées à l’UQAM, qui demeure toutefois dans l’impossibilité de poursuivre les travaux.
2008 : Le vérificateur général du projet , Renaud Lachance , démontre que l’UQAM ne pourra pas s’en sortir seule. Le gouvernement crée une f iducie de 200 millions pour aider l’Université.
Novembre 2010 : Le gouvernement du Québec achète le site et son immeuble inachevé pour 20 millions de dollars, et pour 25,5 millions les droits de gestion de la station centrale.
Décembre 2011 : Le gouvernement du Québec annonce que le Campus de la santé publique Norman-Bethune verra le jour sur le site de l’îlot Voyageur et que les étages supérieurs inachevés seront vendus à la suite d’un appel d’offres.
Une « tour de la faim » sur la montagne
Des travaux interrompus pendant huit ans faute de budget, une mise sous tutelle de l’État : il y a 80 ans, le pavillon Roger- Gaudry a été l’îlot Voyageur de l’UdeM… en pire.
Au début du 20e siècle, l’UdeM est située sur la rue Saint-Denis au coin de la rue Sainte-Catherine, là où l’on trouve aujourd’hui le pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM. Afin d’augmenter le nombre de facultés et d’accueillir plus d’étudiants, la direction envisage la construction de nouveaux édifices. L’UdeM veut rivaliser avec les prestigieuses universités anglophones Bishop et McGill, mais ses moyens ne sont pas à la hauteur de ses ambitions.
Pour financer ce projet, l’Université et le clergé mènent en 1920 une campagne de financement auprès des citoyens, de l’Église et du gouvernement provincial. On estime les dons promis à plus de quatre millions de dollars, mais finalement, ce sont moins de trois millions qui seront récoltés.
D’emblée, l’UdeM doit consacrer une partie de ces dons à la reconstruction de l’immeuble de la rue Saint-Denis ravagé par un incendie le 22 novembre 1919.
Le recteur de l’époque, Vincent Piette, propose de construire l’actuel pavillon Roger-Gaudry sur le flanc du Mont-Royal. L’architecte montréalais Ernest Cormier dessine un projet ambitieux estimé à cinq millions de dollars. Malheureusement, quand Cormier soumet ses plans en 1926, le budget de l’Université de Montréal est déficitaire. Le projet est vilipendé publiquement et on en critique les coûts exorbitants.
Les travaux commencent malgré tout en 1928, mais sont interrompus par la crise économique en 1931.
Le gouffre financier est tel que l’UdeM doit interrompre le versement des salaires à ses employés à plusieurs reprises durant les années 1930, ce qui vaudra au pavillon son surnom de « tour de la faim ».
Il faudra attendre huit ans pour que les travaux reprennent. En 1939, le gouvernement de Maurice Duplessis promulgue la Loi pour venir en aide à l’Université de Montréal, mettant officiellement l’établissement sous tutelle.
L’Université telle qu’on la connaît aujourd’hui fut inaugurée en 1943 et, à l’époque, on disait que c’était « une merveille de l’architecture moderne ».
JUSTIN DOUCET