Peu de temps après la naissance de Sasha Samar, à la fin des années 1960, les parents de celui-ci se séparent. Balloté au départ entre les deux, il va ensuite vivre avec son père en Ukraine, tandis que sa mère part vivre avec sa nouvelle famille à l’autre bout de l’URSS, en Sibérie. En grandissant, le jeune Sasha ne souhaite qu’une seule chose : rejoindre sa mère, qui se trouve quelque part dans la vaste Union soviétique, à une époque où les communications sont compliquées à établir et où « seul le KGB » a accès aux informations des citoyen·ne·s du pays. Pour y parvenir, il décide de devenir célèbre afin qu’un jour, sa mère puisse le reconnaître à la télévision. À travers son récit, c’est le fil de l’histoire qui se déroule sous les yeux des spectateur·rice·s, celle d’une Union soviétique qui s’effrite, dans laquelle les idéaux disparaissent peu à peu.
Entre fiction et réalité
Après un « coup de foudre artistique » entre lui et le metteur en scène Olivier Kemeid, M. Samar décide de raconter sa vie à ce dernier. Pendant plusieurs semaines, M. Kemeid prend des notes sans savoir ce qu’il allait en faire. Quelques mois plus tard, il envoie une pièce au comédien, rédigée à partir de son témoignage. Celle-ci, intitulée Moi, dans les ruines rouges du siècle, est présentée pour la première fois en 2012 au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, quelques années après la rencontre des deux artistes.
Lors de la séance-rencontre organisée après la représentation du mercredi 13 mars dernier au théâtre Duceppe, M. Samar avoue avoir pleuré « tout au long de la pièce » la première fois qu’il l’a vue. « J’avais peur au départ que mes parents soient mal interprétés, de manquer de respect pour les morts, mais Olivier a su écrire leur histoire de manière sensible et délicate », confie-t-il.
Quand est demandé au metteur en scène quelles sont les parts de fiction et de réalité dans la pièce, il répond que la plupart des portions qu’il a inventées sont des scènes « banales ». Les scènes qui racontent des moments extraordinaires et irréalistes s’inspirent quant à elles de la vie de Sasha. « Elle est folle, la réalité, elle dépasse de loin la fiction », affirme-t-il.
Depuis les débuts de la pièce, le succès est au rendez-vous. Celle-ci a été présentée des dizaines de fois au Québec. La mise en scène est dynamique et la performance des comédien·ne·s transporte l’auditoire tout au long des deux heures de représentation. De la mission spatiale de Youri Gagarine à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en passant par la Série du siècle au hockey et la victoire de la gymnaste Nadia Comaneci aux Jeux olympiques de 1976, le public vit ces évènements historiques à travers les yeux du jeune et touchant Sasha et ceux de son entourage.
Une femme d’origine ukrainienne a connu cette réalité, et son témoignage s’élève du public lors de la séance-rencontre avec les artistes. Elle explique avoir vécu à Kyiv pendant les années où se déroule la pièce. « Je voulais vous remercier, car vous avez parfaitement retranscrit cette époque-là, confie-t-elle. Surtout la période de l’effondrement de l’Union soviétique et le changement de valeurs que cela a entraîné. »
Une histoire qui raisonne d’autant plus avec l’actualité, alors que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année.