Culture

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L’expression décryptée

La « culture du viol » est le fait que la société banalise les comportements qui réduisent l’image de la femme à celle d’objet sexuel, selon la professeure en études littéraires à l’UQAM Martine Delvaux, experte en études féministes. Cette expression comprend aussi bien le viol que les violences sexuelles, les violences psychologiques, l’hypersexualisation ou le sexisme. « Cette culture prend les femmes comme des objets de consommation, ce qui vient banaliser les violences sexuelles, voire les encourager », pense l’étudiante à la maîtrise en sociologie Sophie Coulombe, coorganisatrice de l’université féministe de l’UdeM.

De nombreux mythes entourent ainsi cette « culture du viol », considère Mme Delvaux. Les plus fréquents sont ceux où la femme est responsable de ce qui lui arrive, notamment par rapport à sa tenue vestimentaire ou à son comportement. D’autres mythes remettent également en question le non-consentement de la victime ou minimisent simplement le viol. « Un des plus grands mythes est celui de la fausse dénonciation, précise la professeure. Dès qu’une personne est en situation de minorité, que ce soit un enfant ou une femme adulte, par rapport à un homme, et surtout un homme blanc, on va de suite défendre l’homme au lieu de prendre au sérieux l’accusation. » Pour elle, l’affaire de Claude Jutra illustre bien cette peur de la fausse accusation, même si cela reste un cas extrêmement rare.

Un concept ancien

Née dans les années 1970, la notion de « culture du viol » est arrivée avec la seconde vague de féministes aux États-Unis. « À cette époque-là, on était en pleine révolution féministe, explique Mme Delvaux. Les femmes ont non seulement commencé à se battre pour le droit à l’avortement et à la contraception, mais également contre la violence faite aux femmes et les violences conjugales. »

Au fil des années, même si les femmes activistes ont continué leur lutte, le mouvement féministe a reculé de la scène publique et avec lui, la notion de « culture du viol ». « Après la tuerie de Polytechnique, on ne parlait plus vraiment des féministes ou en tout cas, le moins possible, car ça dérangeait, précise la professeure. Puis, la “culture du viol” est revenue sur toutes les lèvres à partir de 2012, avec par exemple la campagne Agression non dénoncée, le procès Ghomeshi, et surtout dans la foulée d’une résurgence du mouvement féministe de façon planétaire. »

Une expression contestée

Pour la professeure à la Faculté de droit de l’UdeM Anne-Marie Boisvert, ce phénomène est complexe. « Quand on parle de viol, on parle en termes d’agresseurs et d’agressés », explique-t-elle. Pour la criminologue, cette expression de « culture du viol » regroupe trop de comportements différents, qui, d’un point de vue juridique, ne peuvent être traités de la même manière. Pour le cas de l’hypersexualisation par exemple, elle considère que chacun participe à ce phénomène, aussi bien les hommes que les femmes, contrairement au viol.

Par ailleurs, selon Mme Boisvert, la notion de « culture de viol » est juridiquement incorrecte. « J’ai un peu de mal à ce que l’on caractérise tout comme étant du viol, car le viol est un crime, souligne-t-elle. Lorsque l’on regroupe à la fois les agressions sexuelles et l’hypersexualisation dans la même catégorie du viol, ça finit par le banaliser. » Au lieu de parler de « culture du viol », elle estime plus judicieux de parler de culture d’hypersexualisation. D’autant que cette terminologie, trop agressante selon elle, empêcherait d’entamer la conversation autour de ce problème entre les hommes et les femmes.

Néanmoins, cette agressivité de l’expression, Sophie la considère comme étant une façon de marquer les esprits plutôt que de freiner les débats. « Dans l’imaginaire des femmes et de toute la société d’ailleurs, la violence sexuelle qui marque le plus, c’est le viol, indique-t-elle. C’est peut-être pour ça qu’ils ont choisi cette appellation, pour son impact sur l’imaginaire. »

Si l’utilisation de l’expression « culture du viol » ne fait pas l’unanimité, elle a cependant permis de nommer et de dénoncer ce phénomène, selon Martine Delvaux. Cependant, la spécialiste estime que de nombreuses discussions doivent encore avoir lieu, aussi bien auprès des hommes que des femmes, afin de conscientiser chacun sur les dangers de cette culture.

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