Ce n’est pas juste au Québec que les frais universitaires provoquent un branle-bas de combat. Et quand on se compare, on se console ou on se désole, mais surtout on comprend mieux sa propre situation. Premier volet d’une série d’analyses internationales avec le cas du Royaume-Uni et de ses augmentations massives.
Les Anglais ont plus perdu que les Québécois ; jusqu’en 1998, l’État assumait la totalité des coûts universitaires au Royaume-Uni. Peu à peu, les étudiants britanniques ont vu eux aussi leur facture augmenter, et celle du gouvernement diminuer. E n décembre 2010, sur fond de grave crise économique, le gouvernement conservateur de David Cameron a déplafonné les frais de scolarité de 3290 £ à 9000 £ par année, provoquant la plus grande manifestation étudiante à Londres depuis la fin de la gratuité. Mais Downing Street a tenu bon, et plus du tiers des universités ont confirmé qu’elles adopteront le maximum de 9000 £ à l’automne 2012.
Pourtant, il y a quatre semaines, le Office For Fair Access (OFFA), un organisme public créé en 2004 pour assurer l’accès équitable aux études post secondaires, a mis en place un système de quotas pour inciter les universités anglaises à limiter la hausse de leurs frais de scolarité. Le gouvernement, qui contrôle le nombre d’étudiants admissibles dans chaque établissement, s’est réservé un total de 20000 admissions. Il a mis ces «places vacantes» de côté avec l’intention de les attribuer aux seules universités qui offriront des droits de scolarité inférieurs à 7500 £.
Pourquoi cette concession ? Parce que neuf mois après avoir pris la décision de déplafonner les frais, et quelques troubles sociaux majeurs plus tard – on pense notamment aux émeutes londoniennes d’août dernier –, le gouvernement a compris qu’il risquait de perdre une grande part des bénéfices de cette mesure.
Crise de la dette étudiante
Le mécanisme redouté : plus lourdement sollicités financièrement, les étudiants devront davantage recourir au système anglais de prêts et bourses. C’est, dans l’immédiat, plus d’argent public à décaisser : la part de bourse est reperdue instantanément pour l’État, et comme l’argent prêté l’est sans intérêts le temps des études, cela signifie une perte financière supplémentaire à moyen terme. Mais surtout, les mêmes étudiants vont sortir de l’université en devant plus d’argent à l’État, et sur un marché du travail très incertain: 8,1 % des Britanniques sont au chômage, dont 973000 entre 16 et 24 ans. Et pas d’embellie à l’horizon puisqu’on prévoit seulement 1,1 % de croissance du PIB anglais pour 2011. Finalement, le gouvernement britannique craint de ne pas récupérer une partie substantielle des milliards qu’il aura fournis en prêts étudiants, à cause de la multiplication des jeunes diplômés sans travail incapables de rembourser leurs dettes. Si l’on ajoute au tableau la nécessité d’une bureaucratie accrue pour faire tourner ce système, l’impopularité des mesures actuelles, et puis le coût social et politique des faillites personnelles à venir, on comprend que le gouvernement Cameron ait décidé de mettre de l’eau dans son vin.
Un tel scénario est-il possible au Québec? Probablement pas. D’abord parce que même avec la hausse de 1625 $, les frais de scolarité québécois (autour de 3800 $ par an) resteront largement inférieurs aux 7500 £ (environ 12000 $) que le gouvernement britannique considère comme un seuil acceptable, et à plus forte raison au maximum autorisé de 9000 £ (14400 $).
Ensuite, la situation de l’économie et de l’emploi est beaucoup moins précaire au Canada qu’au Royaume-Uni.
Le chômage au pays (7,3 %) est plus faible d’un point environ, et surtout, le Canada atteindra une croissance de 2,1 % cette année – soit presque le double de l’économie anglaise – selon le dernier rapport du FMI, Perspectives de l’économie mondiale, paru en septembre. La marge de manoeuvre des finances publiques canadiennes et québécoises est donc plus large ; les perspectives d’évolution du marché de l’emploi, et donc de retour sur investissement du gouvernement dans la population étudiante, sont aussi bien meilleures qu’au Royaume-Uni.
Enfin, c’est l’État, et non les universités, qui contrôle le montant des frais de scolarité au Québec tout en assurant leur uniformité d’un établissement à l’autre. Par conséquent, un système de mise en concurrence comme celui imaginé par le gouvernement anglais pour juguler la hausse serait aussi inutile qu’impossible.
Les contextes anglais et québécois sont donc très différents à bien des égards. Mais le cas du Royaume-Uni est là pour rappeler au gouvernement Charest que des décisions a priori bonnes pour les finances publiques peuvent se révéler à double tranchant.