Les tristes réalités du doctorat

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Par Florence Aquilina
dimanche 12 février 2023
Les tristes réalités du doctorat
Une étude3 menée par des chercheur·e·s américain·e·s auprès d’étudiant·e·s aux études supérieures dévoile qu’environ 40% de ses participant·e·s souffrent d’anxiété et de dépression modérée ou sévère. Photo | Juliette Diallo
Une étude3 menée par des chercheur·e·s américain·e·s auprès d’étudiant·e·s aux études supérieures dévoile qu’environ 40% de ses participant·e·s souffrent d’anxiété et de dépression modérée ou sévère. Photo | Juliette Diallo
Submergé·e·s par la culture de production de masse des connaissances, un·e doctorant·e a deux à six fois plus de chances de souffrir d’un trouble de santé mentale qu’un individu moyen1. Nombreuses sont les études qui illustrent cette problématique, mais les solutions tardent à arriver. Face à cette réalité indéniable, un vent de changement s’annonce à l’UdeM.

«Les profs qui m’entourent travaillent presque sept jours sur sept; on se dit alors que pour pouvoir y arriver, on doit faire la même chose, dénonce l’étudiante au doctorat à HEC Montréal Lucille2 . Ce n’est pas sain du tout.» La sonnette d’alarme retentit, mais qui pointer du doigt?

La prévalence des troubles de santé mentale chez les étudiant·e·s au doctorat ne peut pas découler uniquement des traits individuels des doctorant·e·s, affirme une équipe de chercheur·euse·s de l’Université Concordia. Ces dernier·ère·s sont plutôt d’avis que l’institution universitaire est au cœur du problème. Leur étude3 établit que l’isolement universitaire, les conflits entre superviseur·euse·s et étudiant·e·s, la pression d’atteindre de bons résultats et l’endettement étudiant sont certains des facteurs liés aux institutions qui peuvent expliquer cette prévalence.

La sociologue Samantha Vila Masse et la vice-rectrice adjointe aux études supérieures et postdoctorales à l’UdeM Julie Carrier, également chercheuse en psychologie, partagent le même avis: les causes sont multiples et plusieurs d’entre elles sont systémiques. Pour Mme Carrier, les exigences des études doctorales peuvent d’abord se présenter comme un facteur de risque de problèmes de santé mentale. «Il est grand temps que les institutions réalisent que les exigences ont augmenté», déclare-t-elle. Lucille explique qu’une cause importante du stress ressenti par les étudiant·e·s au doctorat est la multiplicité des tâches qu’ils et elles doivent apprendre à gérer. «Quand tu fais un doctorat, oui, c’est de la recherche, mais c’est aussi de l’enseignement, faire des demandes de bourses et préparer des conférences», énumère-t-elle.

Publier ou périr

Mme Carrier dépeint une pression systémique de publier en grande quantité. Cette pression existe autant chez les doctorant·e·s que chez les professeur·e·s, surtout en début de carrière, selon elle. L’expression «publier ou périr», répandue dans le monde universitaire, est révélatrice du climat de recherche actuel. Cependant, la recherche prend du temps, souligne Lucille. «Comment réconcilier les impératifs de la recherche, qui demandent un certain recul, aux impératifs de productivité du milieu académique, qui sont de publier un maximum d’articles et, si possible, dans les meilleures revues ? », poursuit-elle.

Ce genre de préoccupations a motivé, au cours des dernières années, la montée du mouvement de slow scholarship. Celui-ci s’oppose à la culture de productivité et de rapidité imbriquée dans le système universitaire néolibéral, propose une restructuration des institutions actuelles et s’oppose notamment à mesurer le succès universitaire en fonction d’un nombre de publications, à défaut de faire le minimum de travail nécessaire à sa réussite4.

L’isolement

Mme Vila Masse, cocréatrice du balado NOUS AUSSI, qui traite des enjeux de sensibilisation à la santé psychologique et au bien-être étudiant, parle aussi d’un esprit compétitif entre les étudiant·e·s, autant en ce qui a trait à la publication d’articles qu’à l’octroi de bourses. Cet esprit de compétition, selon la sociologue, favorise l’isolement universitaire. 

Cet isolement, courant pendant les études supérieures, pourrait notamment s’expliquer par la nature solitaire du travail de recherche ainsi que par le temps consacré à ses études au détriment de sa vie sociale5. Mme Vila Masse tient à faire passer le message qu’un doctorat ne peut pas, dans les faits, se faire seul. Elle prône plutôt une entraide étudiante permettant, par exemple, «à nos collègues de faire une relecture de nos projets de recherche». Ces échanges étudiants ne sont pas seulement constructifs, selon la sociologue, mais «aident vraiment au niveau de la santé mentale».

« THÈSEZ-VOUS » FAIT PARLER

L’organisme à but non lucratif Thèsezvous contribue à briser l’isolement chez les étudiant·e·s inscrit·e·s dans des programmes de cycles supérieures, en organisant notamment des espaces de rédaction collectifs, des ateliers ainsi qu’une retraite de rédaction d’une durée de trois jours à l’extérieur de la ville.

Mieux vaut-il être seul que mal dirigé ?

La relation avec son directeur ou sa directrice de recherche fait partie intégrante du parcours doctoral d’un·e étudiant·e. De nombreuses études définissent les relations conflictuelles avec les superviseur·euse·s comme étant l’une des problématiques les plus importantes pour les doctorant·e·s.

La communication avec son directeur ou sa directrice de thèse est alors primordiale, puisque, comme le précise Mme Vila Masse, chaque doctorant·e· ne demande pas forcément le même style de supervision. Face à cette réalité se trouvent «d’un côté, des étudiants avec des besoins spécifiques, et de l’autre, des directeurs de thèse qui veulent aider mais ne savent pas comment le faire.» Parmi les plus récentes initiatives udemiennes pour remédier à la haute prévalence de troubles de santé mentale chez les étudiant·e·s de cycles supérieurs, le Centre de pédagogie universitaire (CPU) a commencé à donner des formations aux directeurs et aux directrices de recherche pour les aider à développer de bons réflexes afin de communiquer et d’encadrer leurs étudiant·e·s, selon Mme Carrier.

Se remplir la tête et se vider les poches ?

«Niveau financement, on a des croûtes à manger», affirme Mme Carrier, en référence à l’endettement des doctorant·e·s de l’UdeM. Celui-ci est une réalité dans de nombreuses universités partout dans le monde. La vicerectrice admet que même les bourses les plus importantes, comme celles octroyées par le gouvernement canadien, ne sont pas adaptées à l’augmentation du coût de la vie.

Selon Mme Carrier, les exigences auxquelles doivent répondre ses doctorant·e·s sont beaucoup plus élevées qu’à l’époque où elle était étudiante. Photo | Juliette Diallo

L’expérience universitaire n’est pas la même chez les étudiant·e·s internationaux·ales, souligne l’étudiant en quatrième année au doctorat en science des religions Mourtala Amar. Il déclare qu’en plus de ressentir un stress sur le plan financier, il consacre plus de temps et d’efforts à entreprendre des démarches administratives qu’à rédiger sa thèse. Il anticipe notamment le fait de devoir rallonger la durée de son permis d’études, puisqu’il ne pense pas pouvoir terminer son doctorat avant la date d’expiration de celui-ci. À cet égard, Mme Carrier décrit un travail actuel de restructuration à l’UdeM pour augmenter et faciliter les services offerts aux étudiant·e·s et au personnel enseignant qui viennent de l’étranger.

Une prise de conscience à l’UdeM

À son entrée en poste en 2020, Mme Carrier a participé à l’élaboration d’un plan stratégique dont l’un des grands enjeux était le développement du financement intégré aux études supérieures. L’objectif de celui-ci, qu’il provienne de bourses ou de contrats d’auxiliariat, est que chaque étudiant·e reçoive assez d’argent pour se concentrer sur l’acquisition de compétences à développer lors de son parcours universitaire, explique la chercheuse. «On est encore très loin de ça, comme le démontrent nos projections budgétaires», déplore-t-elle.

«Nous essayons de collecter beaucoup d’argent présentement, poursuit la vice-rectrice adjointe. On entame une grande campagne de financement philanthropique à l’UdeM. Nous voudrions qu’une partie significative des dons que reçoit l’Université pour la recherche soit versée pour des bourses aux études supérieures.» Elle précise que les exigences quant à l’examen de synthèse et à la thèse sont également en processus de révision. 

1. À la demande de l’étudiante, qui souhaite préserver son anonymat, le prénom a été changé.
2. EVANS, T., BIRA, L., GASTELUM, J. et al. (2018) : Evidence for a mental health crisis in graduate education. Nature Biotechnology, 36, 282 – 284.
3. BEKKOUCHE, N. S., SCHMID, R. F. et CARLINER, S. (2022), « Simmering Pressure » : How Systemic Stress Impacts Graduate Student Mental Health. Performance Improvement Quarterly, 34 : 547-572.
4. MOUNTZ, A., BONDS, A., MANSFIELD, B. et al. (2015) : For Slow Scholarship : A Feminist Politics of Resistance through Collective Action in the Neoliberal University. ACME : An International Journal for Critical Geographies, 14 (4), 1235 – 1259.
5. LEVECQUE, K., ANSEEL, F., DE BEUCKELAER, A. et al. (2017) : Work organization and mental health problems in PhD Students. Research Policy, 46 (4), 868 – 879.
 
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