Le 1eroctobre dernier, le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi afin d’interdire les thérapies qui visent à changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne. Olivier Ferlatte, professeur à l’École de santé publique de l’UdeM, revient sur ces pratiques.
Quartier Libre : Qu’est-ce qu’une thérapie de conversion ?
Olivier Ferlatte : On appelle ça « thérapie de conversion », mais il n’y a rien de thérapeutique. Ce sont habituellement des pratiques organisées, qui essayent soit de faire changer l’orientation sexuelle d’une personne qui n’est pas hétérosexuelle, soit de faire changer son identité de genre. Ça pourrait concerner notamment une personne qui ne s’identifierait pas au genre qui lui a été assigné à la naissance.
On n’a pas une très bonne idée de ce en quoi ça consiste concrètement. Ce sont des pratiques qui sont extrêmement diversifiées. Habituellement, elles se basent sur le counseling, donc sous la forme d’une thérapie parlée. Les personnes sont soit en groupe, soit seuls, et elles sont conseillées pour tenter de délaisser leurs pratiques homosexuelles ou pour contrôler et effacer leurs désirs. Parfois, ça peut avoir des caractères religieux, et la thérapie peut être accompagnée de prières, par exemple.
Q.L. : Qui donne ces thérapies ? Où est-ce qu’elles se passent ?
O.F. : Ce sont des pratiques qui ont commencé à apparaître après que l’American Psychological Association a reconnu que l’homosexualité n’était plus une maladie mentale en 1975. Elles peuvent parfois se passer dans des camps, parfois dans des contextes religieux. Elles peuvent aussi consister en des séances avec des personnes qui s’improvisent thérapeutes ou psychologues, mais qui ne sont pas reconnues comme telles.
Ce qui est inquiétant, c’est que parfois, elles sont pratiquées par des professionnels de la santé, parfois même des médecins. Ce qui est difficile à légiférer, c’est que ces personnes n’utilisent pas le terme « thérapie de conversion ». Ces pratiques sont assez organisées, mais elles sont très invisibles dans notre société.
Q.L. : Est-ce que ces personnes suivent ces thérapies de leur plein gré ou sont-elles forcées ?
O.F. : Généralement, les personnes sont amenées contre leur gré. Ce sont souvent de jeunes adolescents, qui annoncent à leurs parents qu’ils sont gays, par exemple, et qui sont donc amenés par eux. C’est la raison pour laquelle les hautes juridictions ont légiféré, parce que ce sont souvent des mineurs. Parfois, ce sont de jeunes adultes, mais qui sont encore dépendants de leurs parents. Même s’ils sont majeurs, est-ce qu’ils ont vraiment le choix ?
Q.L. : Quelles sont les conséquences psychologiques de ces pratiques sur une personne ?
O.F. : Ce qui est inquiétant, et c’est pour ça qu’il est important de légiférer, c’est qu’on voit que ces pratiques ont un effet très négatif. Elles ont été discréditées par la science, aucune étude scientifique ne prouve qu’il est possible de changer l’identité sexuelle ou de genre de quelqu’un.
Elles sont traumatisantes. Les personnes qui ont subi ces pratiques-là prennent souvent plus de temps à accepter leur identité sexuelle ou de genre, et elles ont de la difficulté à intégrer la communauté LGBTQ2*.
Q.L. : Quelles solutions pourraient être envisagées pour éviter ces pratiques ?
O.F. : Souvent, les personnes qui ont subi des thérapies de conversion ont été forcées ou encouragées par un parent. La solution se trouverait donc peut-être plutôt dans des interventions auprès des parents, afin qu’ils apprennent à accepter et à gérer leur foi, leur religion, tout en soutenant leur enfant. Je ne peux pas me mettre dans la tête de tous les parents, mais ce comportement ne provient pas nécessairement d’une mauvaise intention, c’est juste qu’ils ont généralement peu d’expérience avec cette communauté. Mais finalement, ils vont généralement à l’encontre du bien de leur enfant, d’où l’importance d’avoir des interventions pour les parents.
Q.L. : Est-ce que beaucoup de personnes ont subi ce genre de thérapie au Canada ?
O.F. : Selon nos études**, qui s’attardent seulement sur les hommes gays et bisexuels, on voit que 8 % ont déjà subi une thérapie de conversion. C’est quand même un nombre assez important. Ce qu’on peut observer aussi, c’est que ce n’est pas une tendance qui s’efface. Le nombre est aussi élevé chez les jeunes d’aujourd’hui. Du côté des femmes lesbiennes, bisexuelles et des transgenres, on n’a pas encore de très bonnes données. Notre équipe de recherche essaye de s’y attarder un peu plus.
Q.L. : Que pensez-vous du dépôt du projet de loi par Ottawa afin d’interdire ces pratiques ?
O.F. : Le projet fédéral donne une définition très étroite des thérapies de conversion. Il décrit ça comme un espace pour rendre quelqu’un hétérosexuel. Ce n’est pas seulement ça. Oui, c’est essayer de changer l’orientation sexuelle, mais c’est aussi parfois contrôler l’homosexualité ou les tendances transgenres. Le projet de loi est très axé sur l’orientation sexuelle, donc n’inclut pas les personnes transgenres et ne les protégera pas.
Du côté provincial, on en connaît encore très peu. On a entendu parler d’un désir de bannir les thérapies, mais on va voir comment ça va être défini, et s’il va y avoir un processus de réparation pour les personnes concernées. Par contre, ce n’est pas parce que c’est illégal que va disparaître. Il faut aussi penser à ce qu’on fait avec les victimes.
* D’après les études actuellement menées par le chercheur Olivier Ferlatte.
** Une étude réalisée en 2019 au Canada démontre que près de 47 000 hommes appartenant à la communauté LGBTQ2, soit 8 % de cette dernière, ont subi une thérapie de conversion.