Les phylactères enchantent

icone Culture
Par Émilie Tremblay
mercredi 16 octobre 2013
Les phylactères enchantent
Extrait de Poulet grain-grain de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau. (Illustration: Courtoisie La Mauvaise Tête)
Extrait de Poulet grain-grain de François Samson-Dunlop et Alexandre Fontaine-Rousseau. (Illustration: Courtoisie La Mauvaise Tête)

Avec la sortie du 6e album de la bande dessinée Les Nombrils de Maryse Dubuc et Marc Delafontaine – série vendue à plus de 1,5 million d’exemplaires dans le monde ­– l’automne frappe fort dans le 9ème art au Québec. Bien qu’en plein essor dans la Province, le marché de la BD n’a pas encore atteint son plein potentiel.

Selon les données de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), de 2002 à 2011, le nombre de bandes dessinées éditées et déposées annuellement aux archives nationales est passé de 2 à 150. Cette augmentation, Réjean St-Hilaire, libraire spécialisé en bande dessinée de la librairie Monet, la ressent de façon très marquée. « On voit un lectorat qui se développe, autre que les cégépiens et les universitaires, dit-il. Les femmes et les adultes de plus de trente ans viennent maintenant acheter des bandes dessinées»

Briser certains stéréotypes est vital à la popularisation de la bande dessinée, notamment pour atteindre le public adulte. « Avec les Paul [série de BD créée par Michel Rabagliati], on brise tranquillement l’étiquette qui dit que la bande dessinée, c’est pour les enfants et on apprivoise un nouveau public. », affirme M. St-Hilaire.

L’arrivée des nouvelles technologies est une cause de la démocratisation de la bande dessinée. « Publier des cases sur un blogue, c’est une super façon de se faire connaître, en plus, comme le milieu est petit, ça peut t’ouvrir des portes », admet Sylvie-Anne Ménard, alias Zviane, auteure du roman graphique Les deuxièmes et ancienne étudiante de l’UdeM.

Métier précaire

Malgré l’augmentation du public, Zviane admet que faire de la BD est une passion et non une source de revenus principale. « Vivre que des ventes des livres, c’est presque impossible, admet-elle. Mais il y a des activités connexes, j’ai fait des contrats d’illustration pour des manuels scolaires et pour une firme d’ingénieurs. » Même si Zviane est considérée comme une auteure qui se vend bien, en récoltant 10 % des ventes de ses livres, elle gagne de 1500 à 2000 $ par exemplaire vendu. « Ça me permet de payer mon loyer pendant deux-trois mois », rigole-t-elle.

D’autres moyens de vivre de la bande dessinée existent : les conférences et les interventions dans les écoles, les festivals, les salons, les différentes bourses. Sinon, beaucoup d’auteurs, n’ayant pas d’autre choix, ont un emploi alimentaire. Certains sont épiciers, donnent des cours de piano ou deviennent critique de cinéma.

Les maisons d’édition ne publient pas les romans graphiques dans un but lucratif. Avec un tirage moyen de 1200 à 2000 copies par bande dessinée, Vincent Giard, éditeur de la maison d’édition La mauvaise tête et bédéiste admet qu’il n’y a pas là une mine d’or. « Il n’y a pas vraiment de profit, on entre pile dans l’argent investi, juste assez pour continuer à faire ce qu’on aime », explique-t-il.  

Frédérique Gauthier, de la maison d’édition La Pastèque, a un tirage moyen similaire, de 2000 à 2500 copies. « La série Paul de Michel Rabagliati peut vendre 60 000 copies par nouveauté, mais c’est vraiment une exception », avoue-t-il.

Petit, mais efficace

Pour Vincent Giard, la petite taille du monde de la bande dessinée québécoise peut être un avantage. « En France, il y a une si grande production que les librairies n’affichent que quelques jours les nouveautés, qui sont vite remplacées par d’autres, explique-t-il. Ici, on a beaucoup plus de temps de tablette. »

Le marché du Québec étant moins mercantile, il n’y a pas autant de pression sur la vitesse de création. M. Giard et Zviane admettent tous deux que le désavantage majeur de la bande dessinée, c’est que c’est très, très long à faire. « Ça peut me prendre une semaine faire une seule planche, alors que la lecture ne prend que 30 secondes », affirme la bédéiste.

Selon Réjean St-Hilaire, trop de gens pensent que la bande dessinée est une sous-catégorie de littérature plutôt que le 9ème art. « Le roman graphique est un acte de création, c’est l’écriture d’un scénario et la fabrication de l’image, c’est le meilleur des deux mondes », croit-il. Même si la croissance du marché va bon train, il y a donc encore un travail de sensibilisation à faire auprès du public québécois. 

Formation universitaire

Depuis 1999, l’Université du Québec en Outaouais offre un baccalauréat spécialisé en bande dessinée. Il s’agit de la seule formation de ce type dans la province, mais elle prouve l’effervescence que connaît le milieu du roman graphique au Québec. Toutefois, M. Giard soutient que la meilleure formation est la pratique. « La plupart des auteurs qu’on va recruter viennent en fait d’ateliers privés donnés par Jimmy Beaulieu, on n’a pas vu beaucoup de finissants de l’UQO qui se démarquent », spécifie-t-il.

Les étudiants lisent-ils encore des BD? QL tâte le pouls