Volume 19

Les Palestiniens dans tous leurs États

Mahmoud Abbas espère que l’ONU suivra sous peu la voie de l’UNESCO qui, le 31 octobre dernier, a accueilli la Palestine en son sein, contre l’avis du Canada et de son puissant voisin, les États-Unis. Comment les Palestiniens d’ici vivent-ils cette attente, et que changerait pour eux la reconnaissance de leur État ?

Yasmeen Daher, 29 ans, installée à Montréal depuis deux ans et étudiante à la maîtrise en philosophie à Concordia, est née à Nazareth en Galilée, une région occupée par Israël depuis la Guerre des Six Jours en 1967, puis annexée à l’État hébreu en 1981. Pourtant, si on lui demande de quel pays elle vient, Yasmeen répond : « Je suis Palestinienne. » Une façon de s’affirmer certes, mais aussi d’éviter des questions délicates sur le découpage du territoire. C’est aussi l’affirmation d’une identité forte : « Je suis Arabe, je parle arabe, je suis de cette culture, je suis née avec », affirme-t-elle. Elle ajoute : « Un passeport palestinien ne me rendrait pas plus palestinienne. » Mohammed Shaban, 31 ans, étudiant en politiques éducatives à l’université McGill, a plus de difficultés à parler de ses origines, même s’il apprécie l’ouverture d’esprit des Canadiens.

« Au premier contact, je réponds que je viens du Moyen-Orient. » De toute façon, « les gens posent rarement plus de questions, je pense qu’ils ne comprennent pas la situation de l’endroit d’où je viens », ajoute-t-il.

Ils sont 5000 Palestiniens à vivre au Québec, la majorité à Montréal, selon le recensement du ministère de l’Immigration et des Commu – nautés culturelles. La plupart sont des réfugiés politiques et les premiers sont arrivés il y a plus d’une génération. Pour les autres, le document de voyage palestinien fait office de passeport auprès des autorités canadiennes ; la Déléga tion générale de la Palestine à Ottawa offre des services proches de ceux des ambassades.

Bien que la Palestine ne soit pas encore reconnue comme un État, les Palestiniens sont traités comme la plupart des autres immigrants : on leur demande un visa, un travail, assez d’argent pour leurs premiers mois de subsistance. Du point de vue des formalités administratives, la reconnaissance d’un État palestinien ne devrait donc pas changer grand-chose.

En revanche, la création d’un État faciliterait probablement le voyage entre la Palestine et la Canada, selon Mohammed qui en sait long sur la difficulté de quitter le territoire «bouclé» de la bande de Gaza. Depuis la construction du mur, Israël impose un blocus sur beaucoup de biens de consommation et les Palestiniens ne peuvent sortir qu’à condition d’avoir toute une série de papiers en plus d’une raison considérée valable par les militaires aux points de contrôle. Comme les aéroports israéliens sont fermés aux Palestiniens, Mohammed a dû sortir par l’Égypte pour prendre un vol vers Montréal.

israël a érigé un mur de plus de 730 km appelé «barrière de sécurité» d’un côté et «mur de l’apartheid» de l’autre côté. Un graffiti au pochoir du peintre Bansky sur le mur à bethléem, en Cisjordanie. Crédit SImio/Flickr.com

Plus d’immigration

La création d’un État palestinien pourrait avoir une influence certaine sur le flux des immigrants. Najib Lairini, chargé de cours en politique internationale à l’Université de Montréal, croit que seule une infime minorité voudrait retourner en Palestine puisque « la diaspora est déjà bien intégrée ». De même, « plusieurs voudraient visiter leur famille, mais pas nécessairement y vivre », croit Bruce Katz, fondateur et président de l’organisation Palestiniens et Juifs Unis (PAJU). Il cite l’exception de son ami palestinien « qui garde la clé de la maison de ses parents, dont les terres ont été volées. Il voudrait retourner dans ce qui est aujourd’hui Israël ».

Mohammed croit plutôt qu’un mouvement contraire pourrait s’amorcer. « Si les frontières s’ouvraient, beaucoup de monde partirait de Gaza, même les riches. Il n’y a pas de travail, les gens manquent de tout », dit-il.

Mais la reconnaissance de la Palestine ne serait qu’une première étape. Les frontières pourraient rester fermées bien au-delà de la création d’un État, puisque la situation dépend davantage d’une paix négociée avec Israël : « au-delà de la paix entre deux gouvernements, il faut faire la paix entre deux nations si on veut pouvoir vivre [et circuler] comme on le souhaite », estime-t-il. « Mais tous les murs finissent par tomber », affirme M. Lairini en souriant.

À cette idée que de nombreux Palestiniens voudraient émigrer, M. Katz rétorque: « Je doute que des gens qui luttent depuis 63 ans veuillent quitter leur terre. » Il n’en reste pas moins que Mohammed avoue, après une longue hésitation, son désir de rester à Montréal à la fin de son année d’études: « J’aimerais bien trouver quelque chose à faire qui me permettrait de voyager entre les deux pays. » Pour la première fois hors de Gaza, il a enfin « le sentiment de vivre dans un territoire sécuritaire ».

Malaise

Quand l’UNESCO a reconnu l’État de la Palestine le 31 octobre, le gouvernement Harper, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, John Baird, s’est dit « très déçu » de cette décision et a annoncé le gel de la contribution canadienne à l’organisation en guise de représailles. Le vote du Canada contre l’admission de la Palestine à l’UNESCO a laissé un goût amer aux enfants des immigrants palestiniens qui, même s’ils sont de la seconde génération, « sont très politisés et mobilisés : ils n’ont certainement pas oublié leur héritage culturel et ils se considèrent comme des réfugiés », note Bruce Katz. Mohammed, à qui l’on a vanté la tradition de défense des droits humains et d’équilibre de la politique extérieure canadienne déplore « que le gouvernement actuel va tout gâcher ». Yasmeen s’indigne du changement dans la politique étrangère du Canada qu’elle qualifie de « très mauvais rôle ».

« Gêné en tant que Canadien », Najib Lairini croit que la position pro-israélienne de Stephen Harper a déjà porté atteinte aux intérêts du Canada. Il explique notamment de cette façon le revers essuyé aux Nations-Unies pour l’obtention d’un siège non permanent au Conseil de sécurité. M. Lairini affirme toutefois que « les Québécois sont en général plus pro-Palestiniens. C’est une question de rapprochement avec leur propre situation et de sympathie pour l’autodétermination ». Enfin, il y a la politique du gouvernement Harper, mais « le public canadien est tout de même plus informé qu’il y a 10 ans », conclut Bruce Katz qui sensibilise la population à la cause palestinienne depuis 2000.

 

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