Les intervenants en soins spirituels, soignants méconnus des hôpitaux

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Par Esther Thommeret
lundi 5 avril 2021
Les intervenants en soins spirituels, soignants méconnus des hôpitaux
Dominique Nguyen dans le « havre », un lieu de recueillement ouvert à tous au sein du CHU Sainte-Justine.
Dominique Nguyen dans le « havre », un lieu de recueillement ouvert à tous au sein du CHU Sainte-Justine.

Dans la majorité des centres hospitaliers du Québec, des intervenants en soins spirituels (ISS) sont présents afin d’apporter un soutien aux patients ainsi qu’à leurs proches. L’intervenant Dominique Nguyen revient sur l’histoire de ce métier, et sur son rôle au sein du Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine de Montréal.

Quartier Libre (Q. L.) : Historiquement, comment la profession d’ISS est-elle née ?

Dominique Nguyen (D. N.) : C’est un métier qui a été présent très tôt dans l’histoire du Québec et qui a eu plusieurs mutations au cours des décennies. Le Québec a été bâti sur des institutions prises en charge par l’Église. L’aide spirituelle ou religieuse, incarnée par l’aumônier, était extrêmement présente dans les écoles, les hôpitaux, les forces armées ou encore dans les milieux carcéraux.

Lorsque les institutions hospitalières ont été prises en charge par les médecins, on a senti le retrait de l’Église pour tendre vers des institutions civiles laïques. Ce changement s’est opéré pour refléter la diversité et les différents besoins de la société. Il n’y avait plus uniquement des croyants, mais aussi des non-croyants, des agnostiques ou encore des personnes avec d’autres traditions religieuses.

On est donc passé de l’aumônier à l’intervenant en soins spirituels au début des années 1990-2020. On n’est plus des personnes envoyées par l’institution religieuse, mais des fonctionnaires, des employés de l’hôpital, au même titre que les psychologues ou les travailleurs sociaux, par exemple.

Q. L. : Quel est le rôle de l’ISS au sein d’un centre hospitalier à l’heure actuelle ?

D. N. : L’ISS est un professionnel engagé par le réseau de la santé. Son rôle est de soutenir les patients et leurs proches en situation de maladie, en identifiant leurs propres ressources spirituelles susceptibles de les aider.

Ce travail s’inscrit dans la grande famille de la relation d’aide, on est centré sur la personne. On n’est pas là pour parler d’une tradition religieuse, encore moins pour l’imposer, l’enseigner ou faire apprendre des choses. On est là pour accompagner les personnes dans leurs propres forces intérieures. On devient des facilitateurs pour qu’elles puissent identifier leurs forces, leurs ressources, leurs croyances.

Q. L. : Est-ce que vous proposez vos services pour l’ensemble des confessions et des croyances ?

D. N. : Le service des soins spirituels est non confessionnel. On est à l’écoute de la diversité de chacun. Ça permet aussi de respecter le côté laïc de l’État. Les croyances les plus fréquentes sont le christianisme, l’islam et le protestantisme. Ensuite, il y a les athées, les agnostiques, les gens qui ont une spiritualité en utilisant des termes comme ceux de la croyance en l’univers, dans les énergies, etc.

Q. L. : Quel serait un exemple concret d’intervention récente que vous avez effectuée ?

D. N. : Récemment, on avait affaire à un bébé prématuré avec de gros problèmes de santé au niveau des reins et des poumons. Il a été convenu avec les parents et l’équipe soignante qu’on ne voudrait pas escalader les soins si l’état du bébé devenait critique. On m’a demandé d’évaluer les besoins des parents afin de pouvoir faire un geste signifiant pour eux dans le but de symboliser cet accueil du bébé dans leur vie et dans leur famille. Ils n’ont pas spécifié leurs traditions religieuses, mais l’idée était de rendre hommage à la vie et de les accompagner.

Les besoins d’interventions ont toujours existé, mais la pandémie les exacerbe, surtout à cause de l’isolement et de l’absence des proches.

Q. L. : Quelle serait la différence entre votre service et une aide psychologique ?

D. N. : Lorsqu’un patient connaît des difficultés, on va lui offrir des services. S’il montre de l’anxiété ou des problèmes conjugaux, par exemple, on pense au travailleur social. Le travail du psychologue s’intéresse davantage aux mécaniques intérieurs de l’esprit qui se laissent observer par les émotions. Lorsque la personne a des questionnements existentiels, de sens, ou lorsque dans son discours, il y a des éléments spirituels, c’est à ce moment-là qu’on lui propose nos services. On fait une première intervention, puis, s’il y a besoin, des suivis.

À l’hôpital Saint-Justine, nous sommes deux ISS ainsi qu’une centaine de travailleurs sociaux et psychologues.

Q. L. : Quelle est la formation à suivre pour devenir ISS ?

D. N. : En général, pour être ISS, il faut faire un baccalauréat en théologie, en sciences des religions ou dans des études équivalentes. Ensuite, il faut réaliser un stage en milieu clinique reconnu par l’Association canadienne de soins spirituels (ACSS). Personnellement, j’ai fait un bac en philo, un bac en théologie et ensuite deux maîtrises en théologie, dont la dernière en santé et spiritualité.

Q. L. : Est-ce que votre métier est régi par un code d’éthique ?

D. N. : Lorsqu’on fait partie de l’ACSS, il y a un code d’éthique, des normes de pratique professionnelle et des normes de formation à respecter.

Il y a une section sur le rapport entre l’intervenant et le patient, il faut être centré sur les besoins de la personne et être attentif à ces éléments spirituels. Le défi des ISS, surtout pendant la formation et les stages cliniques, c’est d’être au clair avec leur propre spiritualité, leur propre condition pour éviter toute projection sur les individus lorsqu’ils travaillent.

Q. L. : Quel est l’aspect le plus difficile de votre métier ?

D. N. : Ça change pour chaque intervenant et chaque semaine. Au niveau de l’intervention, les cas les plus difficiles sont quand la personne souffre en silence. Lorsqu’on se retrouve devant une personne, qu’on voit l’émotion, les larmes, mais que c’est le silence total. On n’a pas de matière sur laquelle travailler lorsqu’une personne n’est pas encore prête pour prendre cet espace de parole.