Quel est le point commun entre un savant des Lumières, un activiste social et un militant anticolonialiste ? Alexander Von Humboldt, William Bunge et Yves Lacoste sont tous trois géographes et ont — chacun à leur manière — révolutionné l’étude de la matière. Ils sont aussi les favoris des étudiants de géographie de l’UdeM.
Alexander Von Humboldt, l’explorateur
Le naturaliste et géographe francoallemand naît à Berlin en 1769. Il y meurt aussi, en 1859. De grande famille, il bénéficie d’une éducation exceptionnelle, en harmonie avec l’esprit des Lumières. science politique, archéologie, médecine, physique, mathématiques, botanique, anatomie, zoologie ou encore géologie : rien ne lui échappe. Rien!
Jusqu’à trente ans, il touche à tout, étudiant tour à tour les minéraux — il ouvre même une école clandestine à destination des mineurs — et l’électricité, qu’il estime contenue dans les nerfs. En 1799, il embarque en Corogne, en Galice, à destination du Venezuela avec un mandat de Charles IV, roi d’Espagne.
Son expédition de cinq années en Amérique latine est aujourd’hui considéré comme une seconde découverte de l’Amérique du Sud. La première année de son périple, il prélève déjà 20000 spécimens botaniques ! 20000! Si Humboldt est vu comme le père de la géographie moderne, c’est qu’il est le premier à avoir établi un principe de «géographie générale », c’est-à-dire l’étude de la planète, de ses caractéristiques, de ses habitants et de ses phénomènes.
À mi-chemin entre la philosophie, la science et la littérature, Humbolt propose une nouvelle approche en inventant la notion de «milieu de vie».
William Bunge, le militant
Né en 1928 à La Crosse, dans le Wisconsin, William Bunge est diplômé en géographie quantitative. Il est embauché comme professeur à l’Université de Détroit, en 1962.
C’est aussi cette année qu’il sort Géographie théorique, ouvrage de référence de la géographie mathématique, qui consiste à amasser des données statistiques et à les traiter de manière à établir des lois d’organisation d’espaces.
Malgré le succès de son travail, Bunge renie rapidement cet ouvrage. Il accuse les pouvoirs publics d’appliquer ses méthodes quantitatives pour organiser la ségrégation sociale et raciale, en particulier à Détroit. Dégoûté, le géographe recherche alors d’autres champs d’application de sa science.
C’est dans le Motown des années 1960 et dans un contexte d’émeutes raciales que Bunge s’épanouit. Il brandit son savoir contre la ghettoïsation de son quartier Fitzgerald et analyse la situation de ses semblables avec une rigueur implacable. Grâce à ses études, il fait la lumière sur les inégalités urbaines en recoupant des statistiques telles que le nombre de bébés mordus par des rats.
Enfin, Bunge est le premier à penser la réappropriation des quartiers par leurs habitants, associant la lutte des classes à une lutte en faveur d’un cadre de vie décent.
Yves Lacoste, le provocateur
Né en 1929 à Fès, au Maroc, où son père géologue étudie les sols, Yves Lacoste fait ses études en France. Il revient en Afrique du Nord dès 1952 pour enseigner à Alger.
En 1976, Lacoste lance Hérodote, revue géographique et géopolitique et publie La Géographie ça sert d’abord à faire la guerre. Par ses publications, il cherche à réhabiliter l’étude de la géopolitique en France, associée depuis longtemps à une science nazie.
Pour Yves Lacoste, les contextes politiques sont indissociables des facteurs géographiques. Il le démontre d’ailleurs en 1972 alors qu’il accuse les Américains d’avoir torpillé le soubassement de plusieurs digues du fleuve Rouge au Vietnam dans l’espoir de provoquer des inondations qui auraient l’air naturelles.
Il cherche à pousser ses homologues à sortir de leurs études abstraites pour se concentrer sur une géographie active, plus engagée.