Les futurs psychologues s’éloignent du réseau public malgré les efforts du gouvernement

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Par Esther Thommeret
samedi 20 mars 2021
Les futurs psychologues s’éloignent du réseau public malgré les efforts du gouvernement
Photo : Nik Shuliahin sur Unsplash.com.
Photo : Nik Shuliahin sur Unsplash.com.
Les futurs psychologues sont nombreux à se détourner du secteur public pour rejoindre le secteur privé, et ce, malgré les efforts du gouvernement du Québec. La bourse de 25 000 dollars que celui-ci octroie aux doctorants afin qu’ils s’engagent dans le public ne les incite pas à le faire, selon la Fédération interuniversitaire des doctorants en psychologie (FIDEP), qui dénonce de mauvaises conditions de travail et un manque de supervision.

Les doctorants en psychologie qui réalisent leur internat dans le secteur public peuvent bénéficier, depuis 2017, d’une bourse de 25 000 dollars octroyée par le ministère de l’Enseignement supérieur (MES). Les candidats qui souhaitent en bénéficier doivent signer un contrat d’engagement de deux ans dans le secteur public, et ce, après leur internat. Si le milieu professionnel dans lequel ils se trouvent n’a pas de poste à pourvoir, ils doivent alors réaliser 150 heures de bénévolat.

« Ce programme vise à améliorer l’attraction et la rétention des psychologues dans le réseau public », déclare le porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Robert Maranda. Cette stratégie se montre inefficace, d’après la FIDEP, qui juge ce programme trop contraignant.

« Le gouvernement veut faire signer aux doctorants un contrat d’engagement pour qu’ils entrent dans le réseau public et qu’ils y restent, mais ça ne marche pas », affirme la présidente de la FIDEP, Marie-Joëlle Beaudoin. D’après la Fédération, 75 % des internes boursiers ont réalisé le bénévolat depuis la mise en place du programme.

Pourquoi un retour vers le privé ?

« 75 % des doctorants en psychologie souhaitent travailler dans le secteur public, mais seulement 50 % finissent par signer un contrat d’engagement, entre autres à cause des mauvaises conditions de travail», détaille Mme Beaudoin.

Les doctorants François Genest, de l’Université de Sherbrooke, et Kassandra Pineault Savard, de l’UQAM, font partie des trois quarts des futurs psychologues qui souhaitent travailler au sein d’infrastructures publiques. « Je me suis toujours vu travailler dans le secteur public en milieu hospitalier, ça permet de rendre plus accessibles les soins en santé mentale », témoigne François, qui réalise actuellement son internat à l’hôpital Sainte-Justine.

Le programme du gouvernement n’a toutefois pas réussi à convaincre Kassandra. « Ces conditions ne sont pas suffisantes pour faire en sorte qu’on s’implique dans le réseau public, estime-t-elle. Il y a tellement d’autres choses qui ne fonctionnent pas et qui sont difficiles pour les psychologues, comme les conditions de travail. »

Selon les résultats d’un sondage1 réalisé par la FIDEP, à la question « si vous devez faire deux ans d’engagement, comptez-vous ensuite pratiquer au sein du réseau public ? », 63,7 % des répondants ont indiqué « non/ne savent pas/préfèrent ne pas répondre », et seulement 31,7 % répondent par l’affirmative.

Une perte d’autonomie professionnelle

À titre d’exemple des conditions de travail peu favorables, Mme Beaudoin pointe la surcharge de travail, la faible rémunération, mais également la perte d’autonomie professionnelle. « Lorsqu’on devient psychologue dans le réseau public, on doit suivre les consignes du Ministère, explique-t-elle. Par exemple, on ne peut pas suivre un patient pendant une longue période, et on doit se circonscrire à un programme de thérapie assez rigide. Dans le privé, on y va principalement avec les besoins réels du patient et il est plus facile de pratiquer selon l’approche pour laquelle on a été formé. » D’après la présidente de la FIDEP, le public détient malgré tout certaines conditions avantageuses, notamment au niveau des assurances, des fonds de retraite et des avantages sociaux.

En parallèle à son internat dans le secteur public, Laura* travaille à temps partiel dans le privé. « Ce qui m’a amené à travailler dans le privé, c’est de gagner des sous, révèle la doctorante. L’avantage, c’est que c’est quand même assez payant, puis on fait notre propre horaire, on peut prendre le nombre de patients qu’on veut, c’est assez flexible. »

Le Ministère semble porter une attention particulière à ces enjeux. « Plusieurs mesures visant notamment l’organisation du travail multidisciplinaire et l’optimisation des ressources sont déployées dans le réseau », a laissé entendre le porte-parole du MSSS à Quartier Libre, sans toutefois apporter de précisions.

Un manque de supervision ?

Afin d’intégrer une structure publique, les diplômés ont besoin de présenter un permis de l’Ordre des psychologues du Québec. Celui-ci n’étant pas immédiatement délivré à la fin des études, les finissants sont souvent contraints de tirer un trait sur leurs espoirs de se voir embaucher à la fin de leur internat. « Les milieux ne veulent pas attendre un an, ils ont besoin d’un psychologue maintenant, donc la plupart des diplômés signent pour les 150 heures de bénévolat », souligne Mme Beaudoin.

En attendant d’obtenir leur diplôme, les doctorants peuvent pratiquer, mais sous supervision. « Dans le réseau de la santé publique, il n’y a pas assez de psychologues disponibles pour offrir cette supervision après l’internat, donc les internes commencent à pratiquer dans le privé avant leur diplomation pour avoir un revenu », ajoute la présidente de la FIDEP, qui s’appuie sur les observations de la Coalition des psychologues du réseau public québécois (CPRPQ) et de celles d’associations membres de la FIDEP.

De son côté, le MSSS invalide ces informations. « Le MSSS n’a aucune donnée qui confirme cet argumentaire, les places de stages et les superviseurs sont en nombre suffisant pour accueillir tous les internes qui se qualifient pour un stage dans le RSSS (Réseau de la santé et des services sociaux, NDLR) », affirme M. Maranda.

D’après la FIDEP, entre 250 et 270 doctorants réalisent leur internat chaque année dans le secteur public. Selon les chiffres du MSSS, 2 045 psychologues y exerçaient à la date du 31 mars 2020. Cependant, tous les psychologues ne semblent pas être en mesure de superviser les étudiants. « Les superviseurs potentiels sont débordés en ces temps de pandémie et ne vont pas offrir de supervision aux 250 internes après leur internat, même si ceux-ci désirent s’engager », précise Mme Beaudoin.

Une reconnaissance qui passe par la rémunération

La FIDEP souhaite également que les doctorants soient davantage reconnus et mieux rémunérés pour leur travail. « On pense que ce programme devrait simplement indemniser les internes en psychologie pour le travail rendu, explique Mme Beaudoin. D’ailleurs, ça améliore l’accessibilité en santé mentale, parce qu’ils offrent déjà un travail qui équivaut à 80 % du travail d’un psychologue2

Pour François et Kassandra, la bourse de 25 000 dollars devrait être obtenue sans condition. « D’après moi, la condition, c’est notre travail, c’est le service qu’on rend, les 1 600 heures qu’on fournit, estime François. Pendant ce temps-là, on réduit les listes d’attente, on augmente l’accessibilité aux soins en santé mentale. » Le doctorant se dit néanmoins déjà satisfait d’obtenir une rémunération pour son travail à l’hôpital Sainte-Justine.

D’après le MSSS, cette bourse n’est pas une compensation pour un service rendu. « C’est bien une aide financière aux études, souligne M. Maranda. Cette aide n’est pas automatique et est offerte uniquement aux internes en psychologie qui en font la demande et qui répondent aux conditions d’octroi. »

La Nomenclature des titres d’emploi, des libellés, des taux et des échelles de salaire, qui régit le Réseau de la santé et des services sociaux en vigueur, ne contient aucun titre d’emploi correspondant aux tâches et au niveau d’études des internes en psychologie. « Actuellement, le statut d’étudiant dans le Réseau ne permet pas d’être considéré comme une personne salariée et de bénéficier des conditions de travail prévues par les conventions collectives, précise le porte-parole du Ministère.

De son côté, la présidente de la FIDEP estime que considérer l’internat comme un stage est un « réel » manque de reconnaissance pour le travail des internes.

Le silence des ministères

« Voici ce que nous répétons au MSSS depuis un an : il faut changer l’objectif du programme, enlever les critères d’engagement et augmenter le montant de la bourse, insiste Mme Beaudoin. Le MSSS ne semble pas vouloir changer quoi que ce soit dans ce programme, qui ne fait qu’éloigner davantage la relève du réseau public. Nous sommes essoufflés de parler et de rencontrer les ministères. » Les deux ministères concernés sont actuellement en consultation avec la FIDEP, et leur dernière rencontre remonte au 25 janvier 2021.

La gestion de ce programme de bourses est assurée par le ministère de l’Enseignement supérieur, qui n’a pas souhaité répondre aux questions de Quartier Libre. « Des travaux sont en cours pour identifier les meilleures pistes de solution permettant d’améliorer la gestion du programme de bourses et l’atteinte de ses objectifs, précise le porte-parole du Ministère, Bryan St-Louis. Compte tenu de ces travaux, le Ministère ne fera pas plus de commentaires pour le moment. »Une rencontre est prévue avec la FIDEP le 22 mars prochain.

1 La FIDEP, qui représente 1 887 étudiants de cycles supérieurs en psychologie, provenant de sept universités du Québec, base ses chiffres sur les résultats d’un sondage réalisé en janvier 2020 auprès de 423 doctorants.

2 Selon le dossier La rémunération des internes en psychologie au Québec de la FIDEP (octobre 2011), qui s’appuie sur l’étude Costs of Predoctoral Clinical Psychology Internship Training in a Canadian Health Care Setting de Klein et Nicholson (2006), basée sur le London Health Sciences Centre, en Ontario.

*À la demande de l’étudiante, et afin de préserver son anonymat, le prénom a été modifié.