Les femmes oubliées du laboratoire secret de l’UdeM pendant la Seconde Guerre mondiale

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Par Anaïs Amoros
mardi 4 mai 2021
Les femmes oubliées du laboratoire secret de l’UdeM pendant la Seconde Guerre mondiale
Une rare photo d’un groupe de physique expérimentale du laboratoire de recherche de l’UdeM, prise en septembre 1945, dévoile dix femmes parmi une quarantaine de personnes. Crédit photo : Montréal et la bombe de Gilles Sabourin
Une rare photo d’un groupe de physique expérimentale du laboratoire de recherche de l’UdeM, prise en septembre 1945, dévoile dix femmes parmi une quarantaine de personnes. Crédit photo : Montréal et la bombe de Gilles Sabourin
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques avaient choisi d’implanter en catimini un laboratoire de recherche nucléaire à l’UdeM. L’ingénieur Gilles Sabourin, auteur de Montréal et la bombe, a déterré, après plusieurs années d’enquête, des quantités d’informations pour mettre en lumière la contribution qu’ont pu apporter les femmes dans cet épisode méconnu de l’histoire.

Une rare photo d’un groupe de physique expérimentale du laboratoire de recherche de l’UdeM, prise en septembre 1945, dévoile dix femmes parmi une quarantaine de personnes.

Pourtant, la liste des noms qui figurent sur la plaque officielle en mémoire de l’effort de recherche atomique pendant la Deuxième Guerre mondiale ne comporte que des noms d’hommes.

« On n’a pas reconnu la part des femmes pendant très longtemps, mais ce qui est surprenant, c’est que dans les années 1930 et 1940, un nombre important de femmes ont été diplômées en sciences, explique M. Sabourin. Après la guerre, ce chiffre a baissé de manière importante. »

L’ingénieur a passé quinze ans à mener une enquête sur le laboratoire secret de l’UdeM.   « Quand j’ai commencé à faire mes recherches, j’ai été surpris qu’il n’y ait pas eu de livres sur cette histoire, poursuit-il. Beaucoup de femmes ont travaillé pour ce laboratoire. On parle de 25 % à 30 % de femmes qui avaient des doctorats ou d’autres diplômes canadiens ou européens. On avait mentionné l’histoire du laboratoire dans des livres parmi d’autres, mais jamais personne n’avait parlé des femmes, alors qu’obtenir un diplôme en sciences dans les années 1930 ou 1940, ce n’était pas si fréquent, elles devaient être des personnalités particulières. »

Les femmes de l’ombre : Alma Chackett et Jeanne LeCaine-Agnew

Dans Montréal et la bombe, M. Sabourin met en lumière l’histoire de deux femmes du laboratoire, Alma Chackett et Jeanne LeCaine-Agnew.

L’ingénieur s’est rendu au pays de Galles afin de rencontrer Mme Chackett. La chimiste, aujourd’hui âgée de 102 ans, est venue à Montréal pendant la guerre pour rejoindre son mari, également chimiste, dans le but de participer au projet de recherche nucléaire. Après la guerre, elle a travaillé à l’Université de Birmingham pour tester de nouveaux éléments dans des accélérateurs de particules.

« Quand j’ai décidé de parler de son histoire et de celles d’autres femmes, elle était contente, parce que personne n’avait jamais reconnu son apport, mais elle-même trouvait que c’était correct, détaille M. Sabourin. Elle n’avait jamais revendiqué ça, elle ne se voyait pas comme une personne revendicatrice. »

L’ingénieur souligne qu’à l’époque, un couple ne pouvait pas travailler dans la même université. Cette règle a poussé de nombreuses femmes à rester au foyer après la guerre, que ce soit au Canada, aux États-Unis ou en Europe, selon M. Sabourin. « Si un couple travaillait dans la même université, la femme ne pouvait pas recevoir de salaire », précise-t-il.

Il ajoute que cette situation pouvait créer des conflits d’intérêts. Mme Chackett a ainsi commencé à travailler bénévolement comme assistante de recherche avant de prétendre à un salaire au bout de un ou deux ans d’ancienneté. Jeanne LeCaine-Agnew n’a pas non plus reçu l’autorisation de travailler dans la même université que son mari. Toutefois, quand des professeurs de mathématiques de l’université dans laquelle celui-ci travaillait s’absentaient, elle était engagée pour les remplacer.

Selon les informations données par l’UdeM, de 1943 à 1945, dans l’aile ouest du pavillon Roger-Gaudry, 580 chercheurs canadiens britanniques, français et américains ont contribué à l’avancée de l’énergie nucléaire.

Références : SABOURIN, Gilles (2020) : Montréal et la bombe. Québec : Les Éditions du Septentrion.