Les droits de scolarité devraient-ils être basés sur le coût des formations?

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Par Alexia Boyer
mardi 17 janvier 2023
Les droits de scolarité devraient-ils être basés sur le coût des formations?
Plus de dix ans après le «printemps érable», qui avait mobilisé une grande partie de la jeunesse québécoise contre la hausse des droits de scolarité universitaires proposée par le gouvernement Charest, un groupe de réflexion indépendant propose de moduler la participation financière des étudiant·e·s par rapport au coût de leur programme d’études. Quartier Libre s’est penché sur cette étude et les enjeux qu’elle soulève.

Au Québec, l’ensemble des étudiant·e·s d’un même cycle universitaire paie les mêmes droits de scolarité, quelle que soit la discipline d’études. Dans une publication* mise en ligne le 10 janvier dernier sur le site Internet de l’Institut économique de Montréal (IEDM), un groupe de réflexion indépendant, le chercheur associé senior pour cette institution et professeur au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal Michel Poitevin défend la modulation des droits de scolarité en fonction des programmes d’études.

Comment moduler les droits de scolarité

Dans le début de sa note économique, M. Poitevin avance que « l’efficacité économique dicte que les droits de scolarité déterminés par le gouvernement devraient se rapprocher de ceux qui émergeraient d’une concurrence entre les universités […]. Ainsi, des droits de scolarité optimaux équivaudraient au coût marginal de la formation, moins l’externalité marginale sociale ». Il en vient ainsi rapidement à déclarer que « les droits optimaux doivent varier d’une discipline à l’autre dans la mesure où les coûts de formation sont aussi différents d’une discipline à l’autre ».

En résumé, cette démonstration signifie que les droits de scolarité devraient être fixés pour chaque programme d’études en fonction du coût que chacun d’eux représente pour l’université, et auquel serait soustraite une somme qui représente l’utilité de ce programme pour la société québécoise.

Pourquoi moduler ?

Le premier argument en faveur de la modulation des droits de scolarité qu’avance M. Poitevin tient sur le fait que certain·e·s étudiant·e·s, dont les programmes sont moins dispendieux pour les universités, subventionnent les programmes plus coûteux en payant des droits de scolarité identiques à ceux des étudiant·e·s inscrit·e·s dans ces derniers. Il ajoute que « les disciplines dont les coûts de formation sont élevés sont associées à des salaires élevés à la diplomation, la politique actuelle, en plus d’être inefficace, génère des iniquités flagrantes et totalement injustifiées entre les étudiants des différentes formations ».

De plus, selon les calculs de l’auteur de l’article et du chercheur au Département de sciences économiques de l’Université de Montréal Rui Castro, « la modulation des droits de scolarité entraînerait aussi une hausse importante des revenus issus des droits de scolarité (payés par les étudiants québécois) des universités québécoises », « une hausse de plus de 30 % des revenus des droits de scolarité des étudiants québécois perçus par les universités ». Tous deux avancent que la hausse de revenus permettrait notamment de soutenir financièrement les étudiant·e·s affecté·e·s par l’augmentation de leurs droits de scolarité.

Vision néolibérale

Comme le rappelle l’auteur de la publication, « les droits de scolarité au Québec contribuent beaucoup moins au financement total des universités qu’ailleurs au Canada, alors que le financement public représente une part beaucoup plus importante au Québec ».

S’interroger sur les effets néfastes que produirait un désengagement de l’État québécois dans les financements des universités est toutefois de rigueur. En s’appuyant sur une série de trois billets de blogues** publiés en 2015 sur le site Internet de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), un autre groupe de réflexion, l’ancienne doctorante à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UdeM Anne-Marie Duclos, aujourd’hui chercheuse postdoctorale à l’Université du Québec en Outaouais, constate que « la réduction des interventions gouvernementales dans les secteurs publics met à profit un cadre propice à la concurrence des marchés, ce qui favorise la compétitivité et la privatisation ».

L’autrice met en avant, entre autres, le fait qu’appliquer une logique managériale au domaine de l’éducation entraîne la suppression des cours universitaires qui ne rapportent pas assez économiquement, et dont la majorité se trouve dans les domaines des langues, des arts, de la musique, de la philosophie et de la littérature. Elle cite le professeur à HEC Montréal Omar Aktouf : « est-ce qu’aujourd’hui, un Socrate ou un Victor Hugo seraient employables ? Non ! Mais que serait l’humanité sans Socrate, sans Aristote, sans Verlaine, sans Victor Hugo, sans Rimbaud ? Nous serions des animaux ! Aujourd’hui, sous le prétexte que le marché n’en veut pas, on ne forme plus de poètes ou de gens en littérature. On ne forme que ce que l’industrie d’entreprise financière veut pour alimenter la machine à multiplier l’argent. »

Mme Duclos avance également que « le néolibéralisme entraîne un transfert du coût de l’éducation de la société vers l’individu, prônant ainsi l’individualisme et la compétitivité » et que « l’État se déresponsabilise au grand bonheur du secteur privé puisque le financement public de l’éducation postsecondaire permet au secteur privé de former une main-d’œuvre en fonction des compétences recherchées pour son expansion », des enjeux que M. Poitevin n’aborde pas dans sa note économique.

Qu’est-ce que l’Institut économique de Montréal ?

Ouvertement néolibéral, l’IEDM décrit sa mission comme celle de stimuler « les débats et les réformes des politiques publiques en se basant sur les principes établis de l’économie de marché. » De plus, est indiqué en pied de page de la note économique mentionnée dans cet article que « la Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation. »

En 2007, l’essayiste Normand Baillargeon, alors professeur en sciences de l’éducation à l’UQAM, coordonnait un dossier consacré à l’IEDM dans la revue orientée à gauche À bâbord. Il qualifiait l’institut de « laboratoire de la pensée néolibérale et libertarienne », qui, « sous couvert de science économique […] propage en fait une idéologie. »

*POITEVIN, Michel, Et si on modulait les droits de scolarité, Institut économique de Montréal (IEDM), 10 janvier 2023. https://www.iedm.org/fr/et-si-on-modulait-les-droits-de-scolarite/ [consulté le 16 janvier 2023]

** DUCLOS, Anne-Marie, Le néolibéralisme et l’éducation au Québec, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), 2015 https://iris-recherche.qc.ca/blogue/education/le-neoliberalisme-et-l-education-au-quebec-3-3-une-societe-de-savoirs-peu-eduquee/ [consulté le 16 janvier 2023]