Les clubs de lecture virtuels : nouvelle ère ou effet de mode ?

Depuis les confinements mis en place pendant la pandémie de la COVID-19, les activités en ligne se sont multipliées et n’ont cessé de prendre de l’ampleur. Les clubs de lecture n’échappent pas à la règle. Plusieurs d’entre eux ont entrepris de développer des formules virtuelles, et certains ne fonctionnent d’ailleurs plus qu’à distance. Quartier Libre est parti à la rencontre de trois d’entre eux pour comprendre leur fonctionnement et l’effervescence nouvelle liée à leur création.

Sophie1 a fondé le club de lecture virtuel Co-Libris en 2022. Enseignante et mère d’un enfant, cette amatrice de livres papier a redécouvert le plaisir de la lecture pendant les périodes de confinement au cours de la pandémie de la COVID-19 pour échapper à l’emprise des écrans. Quand les activités en présentiel ont repris, elle s’est inscrite dans un club de lecture du Vieux-Montréal et est tombée sous le charme. « J’ai adoré l’expérience d’échanger sur une lecture commune, cela répondait à mon besoin d’avoir quelqu’un avec qui discuter de mes ressentis », confie-t-elle.

C’est ainsi que lui est venue l’idée de créer son propre club… à distance ! En effet, Sophie, qui venait juste d’avoir un bébé, ne souhaitait pas gérer un club en présentiel. Elle a donc créé un site Web, s’est acquittée d’une licence Zoom et s’est lancée dans l’aventure. Premier club de lecture en ligne qui cible toute la francophonie, Co-Libris lui permet aujourd’hui de partager sa passion de lectrice partout dans le monde, tout en restant chez elle.

Quelles différences avec un club de lecture traditionnel ?

Le déroulement des séances est le même que celui d’un club de lecture en présentiel : division en petits groupes, tour de présentation et discussion. Généralement, les responsables animent les rencontres de manière informelle. Pour préparer les discussions, la fondatrice de Co-Libris envoie en amont une fiche de lecture aux membres du club, qui contient des informations sur l’auteur, sur son œuvre ainsi qu’une série de questions sur le livre du mois.

Au Club de lecture de l’Université de Montréal (CLUM), les séances portent souvent sur une thématique. À l’Halloween 2024, par exemple, le livre du mois a été La société très secrète des sorcières extraordinaires, de Sangu Mandanna, et le café à la citrouille était de mise. Au cours de certaines rencontres, un jeu-questionnaire est organisé, suivi d’une remise de prix sous forme de livres. Qu’ils aient lieu en personne ou en ligne, les clubs font de la bonne humeur leur priorité.

Co-Libris crée un partenariat avec le festival Frye

Lors de la quatrième édition de la journée J’achète un livre du Nouveau-Brunswick, le club Co-Libris a organisé deux rencontres virtuelles en partenariat avec le festival de littérature Frye, qui se tient à Moncton chaque année depuis 1999. Des auteur·rice·s du Nouveau-Brunswick ainsi que des lecteur·rice·s des provinces voisines ont ainsi pu se réunir et discuter de leurs lectures. Un bel exemple de la façon dont le virtuel nourrit les collaborations. 

Pourquoi opter pour un club de lecture virtuel ?

Selon Sophie, le numérique permet de combiner aspect pratique et ouverture internationale. Par-dessus tout, la richesse des échanges culturels est passionnante.

«Parfois, on entend jusqu’à six accents différents lors d’une même rencontre, s’enthousiasme-t-elle. Parler avec des gens d’ailleurs permet de se rendre compte de combien la culture influence la manière dont on analyse une œuvre, sans compter la richesse des discussions intergénérationnelles.» En effet, certain·e·s participant·e·s ont vu le jour dans les années 1960, tandis que d’autres sont nés dans les années 2000.

Grâce à cette formule, organiser des entrevues avec des auteur·rice·s devient beaucoup plus facile. Depuis le début de l’aventure Co-Libris, Sophie a ainsi eu la chance de recevoir Fanie Demeule, Martine B. Côté, Sébastien Bérubé et Mélissa Verreault.

Bien que les clubs virtuels tendent à être la nouvelle tendance, les personnes que Quartier Libre a rencontrées soulignent quelques désavantages. Si les rendez-vous en personne se heurtent à des problèmes de disponibilité, ceux en ligne connaissent la même difficulté d’engagement et de présence. Les membres n’ont pas forcément le même « sentiment d’obligation » et le taux de participation s’en ressent, selon le trésorier du CLUM, Grégory Martel. De plus, le décalage horaire reste un défi majeur dans l’organisation des rencontres mensuelles. Ces clubs font également face aux aléas des technologies et subissent régulièrement des problèmes de connexion ou des dysfonctionnements liés aux outils numériques. Ainsi, « la discussion peut paraître moins fluide, entravée par des décalages », précise-t-il.

« Le côté humain et chaleureux de la présence humaine reste recherché », poursuit le trésorier du CLUM. L’absence de contact réel reste la lacune la plus importante des clubs virtuels, selon les personnes avec lesquelles Quartier Libre s’est entretenu. La responsable des clubs de lecture Les Amis de Bibliothèques et archives nationales du Québec (BAnQ), Lucie René, révèle notamment avoir mis fin à la formule numérique du club à la demande de ses membres, qui ont avoué préférer les rencontres en présentiel pour tisser des liens.

Les Amis de Bibliothèques et archives nationale (BAnQ) proposent deux clubs de lecture à ses membres : littérature et essais / crédit photo Pexels – Pixabay

Lire envers et contre tout

Si les deux formats de clubs présentent des qualités et des défauts, le choix de participer à l’un ou à l’autre est l’affaire de chacun et les deux options sont complémentaires, selon les intervenant·e·s. D’après M. Martel, l’un ne remplacera pas l’autre et tous deux « vont coexister ».

Selon lui, les clubs virtuels sont pertinents pour les personnes qui ne vivent pas dans un même milieu, alors que les clubs en présentiel rencontrent davantage de succès dans un contexte universitaire ou professionnel. En effet, ces derniers permettent une socialisation essentielle pour les personnes qui partagent un milieu de vie, afin qu’elles se sentent bien au quotidien sur leur lieu de travail.

Sophie le confirme. Pour elle, le club virtuel est adapté à certains modes de vie, comme ceux des personnes à mobilité réduite ou de celles qui vivent dans des régions éloignées. De plus, « Les gens aiment vraiment se rencontrer en personne », ajoute-t-elle.

Si la pandémie a permis le développement de nombreuses activités numériques, elle a aussi nourri un sentiment inverse : celle de renouer avec le contact humain.

Dans tous les cas, les personnes que Quartier Libre a rencontrées plaident pour la perpétuation de ces clubs, qu’ils soient proposés en ligne ou en présentiel. Ils offrent « une merveilleuse occasion de se décoller la rétine de nos cellulaires et de redécouvrir le plaisir de prendre le temps de lire, souligne la fondatrice de Co-Libris. Une habitude précieuse qui tend malheureusement à se perdre. »

  1.  À la demande de la fondatrice du club de lecture Co-Libris le nom de famille n’est pas mentionné.

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