Volume 19

Les chercheurs dorment au gaz

Les scientifiques se considèrent-ils au-dessus du Protocole de Kyoto ? En faisant le bilan des gaz à effet de serre (GES) émis par ses activités de recherche, Hervé Philippe, professeur d’informatique au Département de biochimie à l’UdeM, semble bien avoir lancé un pavé dans la mare.

 

Hervé Philippe est formel : «Les chercheurs ne s’occupent quasiment pas de Kyoto et de leurs émissions de gaz à effet de serre !» Selon lui, le sujet serait même souvent tabou dans la communauté scientifique. C’est en voulant comparer l’empreinte écologique de ses activités professionnelles avec celle de sa vie privée que M. Philippe s’est rendu compte que ce sont ses recherches qui génèrent le plus d’impact, et de loin.

Dans des articles publiés par les magazines scientifiques Trends in Genetics en 2007 et Nature en 2011, le professeur Hervé Philippe déclare avoir produit 44 tonnes de dioxyde de carbone (CO2) dans le cadre de ses travaux de recherche au cours de l’année 2007. Pour arriver à ce résultat, il a additionné 17 tonnes de CO2 produites lors de ses déplacements en avion à 17 autres tonnes de CO2 produites par sa consommation en électricité, auxquelles s’ajoutent les 10 tonnes restantes, uniquement produites par l’utilisation des climatiseurs.

Ce chiffre, explique-t-il, représentait en 2007 deux fois la moyenne nord-américaine par habitant et 10 fois la moyenne mondiale. Et ce serait même une sous-estimation, selon M. Philippe.

Les chercheurs doivent donc, selon lui, contribuer à l’effort collectif pour préserver l’environnement. Mais c’est un discours qui fait encore grincer des dents dans la communauté scientifique. «J’ai vraiment les deux extrêmes. Des gens viennent me voir pour me dire “enfin, voilà quelqu’un qui se préoccupe de ça et qui ose le dire !” et d’autres me disent “Ah! quelle horreur ! Il ne faut surtout pas en parler.” Il y en a même qui ne m’adressent plus la parole», déclare-t-il.

Il note que les jeunes et les femmes du milieu de la recherche sont généralement plus réceptifs à ses propos que les «vieux chercheurs» en général. M. Philippe explique ce constat en avançant que «les femmes sont plus préoccupées par le bien-être commun et par l’avenir des générations humaines que les hommes» et que «les vieux ont été habitués à un modèle où ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient sans limites» contrairement à la jeune génération sensibilisée dès la naissance aux problèmes environnementaux.

Interrogé à ce sujet, René Roy, professeur au département de chimie de l’UQAM, pense aussi que les chercheurs ne s’intéressent pas à l’empreinte écologique de leurs recherches et il déplore cette situation. Béatrix Bernier, professeure au Département des sciences biologiques de l’UQAM, considère quant à elle que ses collègues s’inquiètent de l’impact de leurs recherches mais constate cependant qu’aucune action concrète n’est prise dans son domaine. Frédérique Dubois, professeure agrégée du Département des sciences biologiques de l’UdeM, affirme quant à elle essayer de limiter les impacts que pourraient avoir, à long terme, les recherches scientifiques sur l’environnement et le maintien de la biodiversité. Geneviève Tanguay, vice-rectrice à la recherche de l’UdeM, n’a pas voulu s’exprimer à la place des professeurs qui, selon elle, sont libres de commenter par eux-mêmes.

De la parole aux actes

Selon M. Philippe, un changement de cap dans la manière d’opérer des scientifiques passe d’abord par une réelle prise de conscience. Il soutient que les chercheurs ne sont même pas au courant des frais d’électricité occasionnés par leurs recherches.

« Cela n’intéresse personne ! Comment peuvent-ils mesurer l’empreinte écologique de leurs recherches s’ils ne savent même pas combien ils payent en frais d’électricité ? » se demande-t-il. D’ailleurs, «il n’est jamais question quand on évalue une demande de subvention de regarder quelle est l’empreinte écologique de cette demande», poursuit-il.

Cependant, le professeur Philippe tient à saluer des efforts qui se font de manière isolée. Il cite l’exemple du Réseau québécois de calcul de haute performance (RQCHP) de l’Université de Sherbrooke qui a décidé d’utiliser la chaleur produite par son centre de recherche en hiver pour chauffer les salles de l’Université. Personnellement, M. Philippe a décidé de limiter sa participation aux congrès internationaux à une seule par année. « Il y a beaucoup de scientifiques qui considèrent que la qualité du savoir est plus importante que la qualité de l’environnement, avance -t-il. J’ai tendance à considérer que c’est l’inverse.»

 

 Il croit et il décroît

Le professeur Hervé Philippe milite au sein du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale dont l’objectif principal est de «provoquer dans la population du Québec la prise de conscience de l’impossibilité de poursuivre la croissance économique.» Du 13 au 19 mai 2012, il participera au Colloque international sur la décroissance aux Amériques en compagnie de David Suzuki.

 

 

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