Volume 20

(Crédit photo : Pascal Dumont)

L’éducation : une priorité non prioritaire

De quoi le Québec a-t-il besoin en matière d’éducation ? C’est la question que les journalistes Marie-France Bazzo, Vincent Marissal et Jean Barbe ont posée à onze penseurs dans le livre du même nom, paru en octobre dernier. Pour les trois auteurs, la réponse est claire : l’éducation doit redevenir une priorité, comme au temps du rapport Parent.

« Après avoir interrogé ces personnes, je pense que nous n’avons pas besoin d’une autre réforme, mais de quelque chose de plus fondamental», croit Mme Bazzo, qui estime que le Québec a besoin d’un nouveau rapport Parent.

Un constat que partage le professeur de sociologie de l’UdeM et co-rédacteur du rapport Parent, Guy Rocher. « La Confédération des syndicats nationaux a lancé début octobre une campagne pour que l’éducation redevienne une priorité nationale mais elle a reçu peu d’écho, expliquet- il. Je le regrette, car l’avenir demeure conditionnel à la jeunesse d’aujourd’hui, c’est elle qui va faire la société de 2050.» Celui qui est l’une des onze personnes consultées pour le livre De quoi le Québec a-t-il besoin en éducation? appelle également à un nouveau rapport Parent.«Il faudrait une autre commission Parent mais, en 2015, le temps que les gens se réveillent.»

La mobilisation étudiante de l’an dernier pourrait pourtant laisser croire que l’éducation a été remise au premier plan. Mais si cet événement a monopolisé les débats et les médias pendant des semaines, il n’a pas permis de voir se développer une vraie réflexion de fond. « Le Printemps érable a été une lutte corporatiste, analyse Mme Bazzo. Nous avons beaucoup parlé de frais de scolarité, mais peu d’éducation ». En se focalisant uniquement sur les enjeux liés aux universités, le mouvement n’a pas abordé la question du décrochage scolaire ou celle de l’enseignement secondaire. «Le Printemps érable est une promesse incomplète, il ne nous a pas fait voir l’ensemble, pense M. Rocher. Il a malheureusement manqué de s’attaquer au problème du secondaire.» Il considère également que le système d’enseignement est encore marqué par l’élitisme. «On continue de favoriser les plus favorisés», souligne-t-il.

Baisse d’intérêt

L’éducation a pourtant été une priorité dans les années 1960, à l’époque du rapport Parent. Pourrait-on revoir cet élan se reformer aujourd’hui ? Non, répond catégoriquement M. Rocher. « Certainement pas. La situation actuelle est très différente de celle de la Révolution tranquille, où l’éducation était considérée comme une priorité nationale », ajoute-t-il. L’historienne de l’éducation et professeur d’histoire au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu, Andrée Dufour, reconnait un changement. «Il faut dire que nous partions de loin dans les années 1960. Il y avait donc un sentiment d’urgence, qui n’est plus aussi fort aujourd’hui.»

Plusieurs facteurs expliquent le détournement de la société des questions éducatives. «Il n’y avait pas de déficit à l’époque, avance-t-elle. Tout allait bien». Mais surtout, les jeunes, les baby-boomers, représentaient une part importante de la population. Ce qui n’est plus le cas de nos jours. «C’est l’une des première fois où les jeunes sont si peu nombreux dans la pyramide des âges», précise Mme Bazzo. D’où un manque d’intérêt pour les questions liées à l’enseignement. « Aujourd’hui, la grande majorité des gens a terminé ses études et n’a pas d’enfants en primaire ou au secondaire, affirme l’ancien professeur en éducation à l’UdeM et créateur en 2005 d’une base de données sur l’éducation et l’opinion publique, Jean-Pierre Proulx. L’éducation appartient à leur passé. Ils n’y voient pas un intérêt immédiat.»

Avec le vieillissement des baby-boomers, la santé est devenue un enjeu prioritaire. « Nous sommes engagés dans un mouvement important en faveur de la santé, dit M. Rocher. D’énormes capitaux appuient ce secteur. Le lobby de la santé est plus puissant que celui de l’éducation. » Contrairement à l’éducation, la santé concerne plus directement les gens. « Nous sommes davantage capables d’avoir une vue d’ensemble d’un système de santé que d’un système éducatif, considère Mme Bazzo. Peut-être est-ce en raison du fait que nous allons tous y être confrontés à un moment ou à un autre».

Éveiller le débat

Que faire pour déclencher une prise de conscience ? Selon Mme Bazzo, le Sommet sur l’enseignement supérieur, qui aura lieu en février, ne suffira pas, car il restera centré sur l’université. «Nous ne pouvons pas faire l’économie de parler seulement de cela. Les principaux enjeux sont ailleurs, au niveau du décrochage au secondaire, notamment.» Pour la journaliste, la volonté politique fait défaut. «Il faut que le gouvernement ose proposer des états généraux sur l’éducation », dit-elle. Il est également essentiel de parler d’éducation pour susciter de l’intérêt. «Nous avons écrit notre livre pour provoquer la discussion ».

Une fois l’opinion publique mobilisée, elle doit pouvoir s’exprimer. « Une partie de l’opinion publique s’inquiète, mais elle n’a pas de porte-voix, regrette M. Rocher. Il faudrait que les associations de parents d’élèves, qui étaient très présentes dans les années 1960, réapparaissent. Ce sont des voies de communication pour faire connaitre leurs inquiétudes au pouvoir politique.»  

* Article modifié le 18 janvier 

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