Lectures mercantiles

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Par Jacaudrey.Charbonneau
mercredi 29 janvier 2014
Lectures mercantiles
(Illustration : Mélaine Joly)
(Illustration : Mélaine Joly)

La lecture du plan de cours est l’un des multiples rituels de l’étudiant. Que ce soit pour stimuler les ventes ou par souci d’offrir un ouvrage de référence calqué sur la matière du cours, certains professeurs imposent leur propre ouvrage en lecture obligatoire. Un débat qui ne fait pas l’unanimité tant chez les étudiants qu’au sein du corps professoral.

«Il n’existe aucune règlementation de l’Université ou des Départements concernant le choix des livres à prescrire en lecture obligatoire, explique le directeur du Département de science politique à l’UdeM, Éric Montpetit. Il s’agit d’un choix qui repose uniquement et entièrement sur le professeur ou le chargé de cours.»

Le professeur de science politique Alain Noël suggère pour la première fois cette session un de ses livres pour le cours POL1000 – Analyse politique: théories et concepts. «J’aurais pu faire d’autres choix, mais je juge que ce livre reflète très bien la matière enseignée, se défend-il. C’est certain que peu importe la sélection que je fais, il y a de l’arbitrage, et donc tout peut être considéré comme biaisé.»

La majorité des enseignants s’entendent d’ailleurs sur l’importance de diversifier les auteurs par souci de couvrir différents points de vue et perspectives. «La plupart des étudiants apprécient avoir un ouvrage de référence sur lequel ils peuvent se baser en cas de doute ou pour apporter certaines précisions à ce qui a été vu en classe», affirme M. Noël.

Selon M. Montpetit, les professeurs ne font pas ce choix pour s’enrichir. « Je ne suis pas certain, mais ils doivent toucher environ entre 1 $ et 1,50 $ par exemplaire vendu, explique-t-il. Ce qui totalise donc une somme annuelle assez minime. »

La titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éthique et en méta-éthique et professeure au Département de philosophie de l’UdeM Christine Tappolet avance que l’occurrence des auteurs enseignants ne perturbe pas l’éthique. « Je n’y vois pas de problème moral », estime Mme Tappolet. Il y a quelques exceptions qui souhaitent faire mousser leurs ventes, mais au-delà de ces cas rarissimes, Mme Tappolet ne voit aucune raison de s’objecter à cette pratique, bien qu’elle n’y adhère pas elle-même. « Je ne donne pas vraiment des articles de ma plume à mes étudiants, affirme-t-elle. Non pas par raison éthique, mais bien parce que ça m’ennuie. J’aime travailler et commenter de nouvelles choses. Je parle de mes thèses en classe, mais sans plus.»

Au sein des étudiants également, les points de vue sont plutôt partagés. « Il s’agit d’une situation assez récurrente en droit et je trouve ça souvent très pertinent, raconte l’étudiante en droit Sandrine Bédard. Je n’ai jamais vu de cas d’abus et de toute façon, connaissant ce que les droits d’auteurs représentent aujourd’hui, ce n’est pas avec la vente de livres qu’ils vont s’enrichir. »

Certains enseignants demeurent spécialistes dans des domaines précis et hermétiques. Leur expertise peut donc devenir inévitable, surtout si le cours couvre une matière pointue et peu documentée. «J’ai des collègues qui écrivent des ouvrages d’introduction pour des cours du premier cycle sur des sujets bien précis, analyse Mme Tappolet. Je pense donc que dans ces cas-là, c’est très naturel de l’utiliser comme outil de base.»

La pertinence des ouvrages recommandés par l’enseignant demeure toutefois contestée dans certains cours. « Je trouve ça plate parce que ça ne nous donne pas envie d’assister au cours, déplore l’étudiante au baccalauréat en science politique Dorianne Tifo-Lajeunesse. Souvent ces professeurs-là ne cherchent pas de sources externes alors on a seulement à lire le livre chez nous!»

La difficulté, dans certains domaines, de fournir des textes en français est une réalité très présente, parti – culièrement à l’UdeM, ce qui justifierait le choix de certains ouvrages. «On essaie le moins possible de donner des lectures obligatoires en anglais, surtout au premier cycle, explique M. Montpetit. Certains enseignants vont donc choisir, après quelques années de plaintes ou à la suite d’une demande précise, d’écrire leur propre recueil ou manuel d’enseignement.»

Les directions de départements n’estiment pas pertinent pour l’instant d’interdire aux professeurs de proposer leurs ouvrages et restent vigilantes, tout en faisant confiance à leurs enseignants.