« Le troc est un moyen de retrouver un esprit de communauté dans une grande ville où il est facile de perdre celui-ci », estime l’étudiante au doctorat en psychologie clinique à l’UdeM Crystal Samson. Elle pratique le troc et apprécie la variété des biens qu’elle peut trouver. « Une fois, j’ai troqué ma sauce à spaghetti contre un kombucha et une autre fois j’ai donné de la nourriture contre des vêtements », ajoute Crystal.
Le troc fait partie de ce que le professeur au Département de sociologie de l’UdeM Paul Sabourin appelle « l’économie du partage ». Pour M. Sabourin, ce phénomène renvoie à ce que Marcel Mauss, un des pères de l’anthropologie, appelait « donner, recevoir et rendre ». « C’est une économie de trois obligations, soutient-il. Ce n’est pas altruiste ou charitable, ce sont des obligations. Si tu vas chez un inconnu avec un panier de nourriture, c’est certain que cette personne va hésiter avant d’accepter la nourriture ! »
Pour l’administratrice du groupe Facebook « As-tu ça toi ? », Marie Neige Chatelain, c’est l’action de donner qui est la plus importante. Son groupe encadre l’échange d’objets encore propres à l’utilisation, comme des sofas, des draps ou des chaudrons. Au-delà de l’entraide économique qu’est le troc, le site est d’abord un moyen de créer une communauté basée sur l’entraide, selon l’administratrice.
Éviter les dépenses superflues
Selon l’étudiante au baccalauréat en musique Audrey Béchard-Jalbert, le troc peut être utile pour se faire plaisir quand on a peu de moyens. « Quand je fais du troc, je cherche ce dont j’ai besoin en retour, souvent ce sont des choses que je n’achèterais pas parce que j’ai d’autres choses à payer en priorité, comme mes droits de scolarité », résume-t-elle.
Audrey a commencé le troc cet été sur Facebook. Sur la page « Troquer, c’est gratos », l’étudiante a créé un album avec ses objets à échanger. « Je fais ça généralement avec une personne : je regarde les albums des autres membres de la communauté et, quand je vois quelque chose qui m’intéresse, je lui fais parvenir mon album pour voir si on peut faire des échanges », explique-t-elle.
Selon l’étudiante, ce mode de vie permet aussi d’éviter le gaspillage. « Je me suis déjà retrouvée avec du porc congelé que j’ai dû cuisiner, mais la quantité était trop importante, alors je l’ai troqué pour ne pas perdre de nourriture et j’ai pu récupérer autre chose, explique-t-elle. Ça peut aussi fonctionner quand ta mère te donne un truc que tu n’aimes pas ! »
Une autre économie ?
M. Sabourin estime que le troc constitue un moyen de préserver un certain niveau de vie. « C’est comme si le seul moyen de reproduire leurs conditions d’existence était de décrocher de l’économie de marché parce qu’ils [les étudiants] n’arrivent pas à reproduire leurs conditions d’existence dans cette économie, suggère-t-il. Il faut qu’ils compensent et fassent une autre économie qui leur permettra de compenser cette situation de domination économique. »
Selon lui, cette intensification de l’économie du partage s’inscrit dans la lignée de la crise de 2012. « Aujourd’hui, on ne peut plus étudier avec un crayon et un papier, il faut un ordinateur, dit-il. Les gens sentent une pression venant de la compétitivité et du fait qu’elle nécessite des ressources. Ils ont alors l’impression d’être sous-qualifiés s’ils n’ont pas ces ressources minimales. » D’après le professeur, cette réalité de la compétition à l’intérieur même du milieu académique rendrait les étudiants plus enclins à s’engager dans le troc.
*Institut de recherche et d’information socio-économique