Le tortueux destin d’un journal estudiantin

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Par Leslie Doumerc
mardi 12 octobre 2010
Le tortueux destin d'un journal estudiantin

Une chose était sûre. Quartier Libre ne pouvait pas parler d’avenir sans consulter un voyant.

« Imaginons que l’on marche dans la rue, il y a un trou dans le trottoir, je l’ai vu, pas vous. Je vais vous le faire éviter. » Alain Benazra est médium. Il a des facultés extrasensorielles qui font de lui « le phare d’une voiture qui éclaire le code de la route de la vie ». Il m’a accordé quelques dizaines de minutes de son précieux temps. C’est qu’il est occupé : il est consultant sur mediumquebec.com. Sa ligne est souvent saturée de personnes qui veulent connaître de quoi demain sera fait, pour « seulement » 2,90 $ la minute. Qui sont ces gens qui se connectent en direct de leur sofa, pour avoir des réponses express à leurs questions existentielles ? « Tout le monde ! » , me dit le clairvoyant. Des artistes qui s’inquiètent pour leurs finances, des intellectuels qui anticipent leurs états d’âme, des parents qui veulent savoir dans quel domaine d’études leur enfant excellera plus tard, des conseillers politiques, et même des curés et des rabbins. Il y a aussi ceux qui ont un fort intérêt pour les arts divinatoires et qui vont consulter «comme ils iraient au cinéma voir Clint Eastwood ». Et puis il y a les sceptiques, des clients très intéressants selon le médium, qui ne cherche pas à convaincre car « les faits parlent d’eux-mêmes ».

À ce sujet, j’ai un bon plan pour vous. J’ai lu sur le site des Sceptiques du Québec que le prestidigitateur James Randi (alias The Amazing Randi) s’engageait « à payer un million de dollars américains à toute personne qui pourra démontrer un quelconque pouvoir psychique, surnaturel ou paranormal sous certaines conditions d’observation satisfaisantes ». Tentez votre chance, un million de dollars, ça se prend bien, et c’est plus payant que la bourse d’études que vous ne recevrez probablement jamais.

Trêve de bavardages, passons aux choses sérieuses. Je suis donc au huitième étage d’une tour de Notre-Dame-de-Grâce, dans un cabinet lumineux aux effluves d’encens, et je tiens un exemplaire de Quartier Libre dans ma main gauche. Je sais que vous vous consumez d’envie de connaitre l’avenir de votre journal. Alain Benazra s’en empare, il le tâte, le palpe, le feuillette (cette technique s’appelle la psychométrie, m’apprend-il). Et c’est à ce moment que le miracle se produit. Il cligne rapidement de l’œil droit. Il a eu un flash; des mots lui sont apparus. « Dévouement, bonnes intentions, élargissement et besoin de changement : si le journal reste en l’état actuel, il risque progressivement de mourir. » Tressaillement. Le clairvoyant me confie qu’il préfère travailler avec des ondes vivantes. « Come on », suis-je tentée de lui répondre, Quartier Libre n’est pas encore mort !

Mais s’il faut en finir un jour, Quartier Libre vous lèguera comme œuvre testamentaire, de quoi assurer votre futur grâce aux savantes paroles d’Alvin Toffler, le futurologue le plus célèbre au monde selon le quotidien britannique Financial Times (p. 14). Vous apprendrez préalablement tout ce qu’il faut savoir sur la culotte anticellulite et autres découvertes scientifiques dont on ne pourra plus se passer d’ici quelques années (p. 12 et 13). Vous constaterez également que l’UdeM n’est pas en reste. Gourmande en nouvelles technologies, elle s’est récemment dotée d’une salle de tribunal (p.9) et d’un laboratoire multimédia (p.8), tous deux riches en fibres optiques et pauvres en gras trans-ancestraux. Moins équilibrés, les gars de Misteur Valaire vous décriront la poutine futuriste (p. 23). En résumé, vous avez sous vos yeux un numéro « spécial futur » qui parle du futur.

Auriez-vous pu le prédire ?