La cinéaste Louise Archambault était présente à l’UdeM le 3 décembre dernier dans le cadre de la projection de son film Gabrielle au Ciné-Campus. En entrevue, elle revient sur une expérience humaine qu’elle juge d’une inestimable richesse.
Quartier Libre : À quels défis avez-vous été confrontée en travaillant avec des acteurs non professionnels atteints de déficience intellectuelle ?
Louise Archambault : Chaque heure était un défi ; j’ai dû lâcher prise. Je me suis adaptée à eux, non l’inverse, pour faire ressortir leurs forces et leur personnalité.
La caméra les fascinait, je devais travailler autrement pour éviter leurs regards. Lorsqu’on voyait un bel échange entre des acteurs, on le captait. J’étais comme un petit crabe en quête de spontanéité, de vérité.
Conserver leurs vrais prénoms les a aidés à rester le plus naturel possible. Je demandais à Gabrielle [Marion Rivard] ou Alexandre [Landry] de devancer ou retarder une réplique pour déjouer le texte mécanique d’un acteur.
Q. L. : Parlez-nous de Gabrielle.
L.A. : Son défi était la coordination. Puisqu’elle est atteinte du syndrome de Williams, les circuits neurologiques opèrent différemment chez elle, je simplifiais ma mise en scène et mes directives afin qu’elle comprenne. Aller chercher des clés sur une table et sortir pouvait nécessiter vingt prises, mais elle pouvait régler des scènes d’émotion en une seule. C’est incroyable! Avec son intelligence émotive, elle me supplante de loin. Elle est une leçon de vie grâce à son authenticité dans le moment présent.
Q. L. : Avec quels éléments a-t-il été le plus facile de composer ?
L. A. : C’est le contact humain et tout l’amour qu’on s’est porté. On pourrait homologuer le record Guinness du nombre de câlins reçus lors d’un tournage. Les acteurs déficients n’ont pas de filtre, ils sont authentiques. Ils se sont surpassés, ils ont persévéré.
Q. L. : De quoi êtes-vous la plus fière dans l’aventure de Gabrielle ?
L. A. : Je suis heureuse d’avoir réalisé un film en collaboration avec ceux qui me l’ont inspiré. Je désirais faire un film avec les déficients intellectuels, pas que sur eux. Il y a aussi le contact humain des gens d’un peu partout à travers le monde, qui me disent «merci» en pleurant ou en souriant. Quelque chose me rassure sur l’humanité là-dedans. Que le public ait envie de voir un film traitant d’un sujet délicat, sans tête d’affiche, dont la moitié des acteurs sont atteints de handicaps intellectuels, m’emplit de bonheur.
Q. L. : Comment vivez-vous avec les honneurs que vous raflez ?
L. A. : Cette belle reconnaissance est l’épilogue. Lorsqu’on m’a annoncé que Gabrielle représenterait le Canada aux Oscars, je songeais à la visibilité dont jouiraient les parents, les individus, les organismes au coeur du film. Avec des économies ténues, les organismes améliorent le destin de ces gens-là. Jamais ils ne demandent à avoir une caméra braquée sur eux. Que le public voie ce qu’ils accomplissent me comble.
Q. L. : Comment souhaiteriez-vous marquer l’esprit du public ?
L. A. : On ne réalise pas un film en voulant changer le monde ou les mentalités, mais on souhaite que les gens s’ouvrent à la différence. Si je devais marquer le public, ce à quoi je n’ai honnêtement jamais pensé, je souhaiterais qu’il réfléchisse et se questionne sur nos comportements humains, sur notre société d’aujourd’hui.