Pavillon Roger-Gaudry, 7e étage. Au bout d’un couloir, une porte entrouverte dévoile une pièce où danse une large flamme. Mis à part une lettre et un numéro, aucune indication ne rend compte de l’activité qui s’y cache. C’est alors que la porte de l’atelier de soufflage de verre de l’UdeM s’ouvre. Aucun vase coloré, aucune lanterne, mais des objets aux formes complexes. La matière rougeoie avant de se déformer. Soudain, Cédric Ginart lui donne vie.
Ce passionné est l’unique souffleur de verre de l’UdeM. Sa vocation scientifique lui permet de concevoir des objets dont les caractéristiques sont trop précises pour qu’ils puissent être produits par les machines industrielles. « C’est un privilège de travailler ici, lance-t-il. Cela fait maintenant dix-huit ans ! » C’est durant ses études de biochimie qu’il a développé son intérêt pour le verre. « J’ai rencontré le verrier du CNRS et j’ai vu que souffleur de verre était un métier à part entière, explique-t-il. Il m’a ouvert les portes. »
Un travail peu commun
Ce qu’il préfère dans son métier, c’est la fabrication. « J’adore souffler du verre, je ne m’en lasse pas, affirme-t-il. Ce que j’aime, c’est quand il y a un défi technique. » Il ajoute détester la routine.
Employé comme salarié à temps plein à l’UdeM, il est appelé à concevoir et à innover pour créer des pièces singulières. « Ici, je peux produire des pièces rapidement, mais aussi à moindre coût, indique-t-il. Je suis utile, car je suis à proximité : si des chercheurs ou des étudiants cassent quelque chose qu’ils ont acheté en Chine, ils ne vont pas le renvoyer. »
Dans l’atelier, des objets de formes diverses entourent le plan de travail. M. Ginart pointe du doigt un cahier sur son bureau. « Lorsqu’on parle de pièces sur mesure, ce sont généralement des professeurs ou des étudiants qui arrivent avec une expérience ayant été faite ailleurs, et qui me montrent une photo de la pièce [qu’ils veulent reproduire]. » Le souffleur de verre explique que seules les personnes rattachées au Département de chimie peuvent lui passer commande. « J’oriente parfois la conception du projet, car on peut me demander une entrée particulière dans l’objet pour mettre des vapeurs ou injecter un gaz, ajoute-t-il. Je dois savoir quelles connexions utiliser, mais aussi la pression que la pièce doit pouvoir supporter. Je calcule tout cela. »
Il enfile ses lunettes bleues et rallume la flamme après avoir choisi le bon chalumeau. « J’utilise des lunettes qui sont en fait des filtres et qui coupent toutes les flammes jaunes », précise-t-il. Ensuite, il tourne avec dextérité la pièce. « La matière première, ce sont des tubes de verre et des baguettes, déclare-t-il. C’est à partir de ça que je vais souffler et souder. »
En moyenne, il reçoit 20 à 25 commandes par semaine. « Mais cela peut varier, et puis une commande, ça peut être une boîte de réparation comme une pièce spéciale, indique M. Ginart. Du coup, la réalisation d’une pièce prend entre 30 secondes et une semaine ! » Il ajoute qu’il met en général une à deux journées pour réaliser les pièces complexes.
Il change de chalumeau, et après quelques tours encore, l’objet est finalisé. Fragile et chaud, il faut le laisser reposer un peu. « Je ne peux pas laisser toutes les pièces refroidir à température ambiante. Certaines doivent être prises quand elles sont chaudes et mises dans des fours, sinon il y a du stress qui se crée et elles peuvent casser », précise-t-il en désignant les deux fours situés de part et d’autre de l’atelier. Il montre également un bain thermostatique dont le fond est brisé. « Le four est fait pour égaliser le stress à l’intérieur de l’objet. Je le recuis à 565 °C pour le Pyrex, température où les molécules peuvent bouger sans que la pièce se déforme. Cela la rend moins fragile. »
Les deux facettes du métier
Le métier de Cédric Ginart à l’UdeM se rapproche plus d’une activité scientifique qu’artistique. « La première est exclusivement technique, argumente-t-il. Il n’y a pas vraiment de courbures. La base du travail artistique est un peu plus libre. » Avant d’ajouter avec humour : « Ici, l’esthétique, ça compte pour moi, mais pas trop pour les utilisateurs. »
Il reconnaît à ce propos ne pas faire uniquement de la verrerie scientifique. « J’ai déjà fait des pots d’échappement pour des motos, des plafonds suspendus pour projeter des images, une pochette d’album pour un groupe de rock anglais… Mais tout cela à titre privé », ajoute-t-il.
Pour se perfectionner, Cédric Ginart n’hésite pas à rester actif. « J’enseigne partout dans le monde et je réalise des expositions et des démonstrations, détaille-t-il. Ce n’est pas un métier pour moi, mais une vocation. Ma blonde travaille le verre, mes amis travaillent le verre, quand je vais en vacances, c’est pour du verre… Et puis… je parle toujours de verre. »