Le souffle enflammé

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Par Charlotte Biron
mardi 23 novembre 2010
Le souffle enflammé
L’atelier scientifique de soufflage de verre de l’UdeM scintille. Cédric Ginart rit en confirmant qu’il brise certainement du verre, ce qui explique les giclées de fragments sur le sol et les surfaces de la pièce. Derrière les portes résistantes aux flammes du département de chimie du Pavillon Roger-Gaudry se cache le souffleur de verre de l’université.

 


«Pourquoi devient-on souffleur de verre ?» Cédric Ginart lance spontanément : « Parce qu’on aime jouer avec le feu !» Un préalable en pyromanie ? « Je pense que le mot que tu cherches, c’est plutôt pyrophile.» Néologisme accordé.

«En fait, j’ai commencé des études en biochimie en France, résume M. Ginart. On avait des cours obligatoires de soufflage de verre. J’ai bifurqué.» Il a déménagé au Québec et travaille maintenant depuis 11 ans à l’UdeM comme souffleur de verre scientifique.

Son boulot à l’université consiste à créer tout ce qui n’est pas fait en série ou qui est trop précis et trop singulier comme pièce pour être fait par des machines. «Les rampes à vide [appareil servant à manipuler des échantillons de gaz sensibles à l’oxygène], par exemple, sont intéressantes à faire. » Il en sort des exemples, manipulant rapidement les pièces fragiles, complexes.

À voir les emboîtements de spirale, de tube, de verre joufflu, on se demande s’il y a des demandes insolites, des objets étranges, des projets secrets d’étudiants. Un alambic en pièces caché dans des casiers peut-être? «Non pas vraiment, infirme M. Ginart. Mais c’est très varié. Je ne fais pas de pièces simples, comme des éprouvettes.»

Le verre sous toutes ses formes

«Je travaille toujours sur des projets différents. Par exemple, tiens [il prend un coeur en verre] je fais ça pour des cardiologues.» La pièce n’est pas finie. Au muscle cardiaque s’ajouteront les ramifications de l’artère tout en transparence.

Il se tourne un instant et revient avec un bout de papier. En montrant le minilabyrinthe aux mesures précises dessiné sur les 5 cm2 de papier, Cédric Ginart explique qu’il devra reproduire exactement le schéma, à partir des longs et étroits tubes de verre empilés au fond de la pièce. «C’est pour des chercheurs qui veulent y faire passer un cathéter [en médecine, un cathéter est une sonde qui sert à fouiller un conduit naturel]. C’est extrêmement précis comme travail.»

«Selon le type de verre, j’utilise une technique différente. Dans un contexte scientifique comme ici, je travaille avec des verres comme du pyrex ou du quartz avec un chalumeau. Ce qui n’est pas possible avec tous les types de matière.» Le lance-flamme est justement posé sur la table de travail.

Cédric Ginart met des lunettes mauves.«Je n’en ai pas deux paires , mais essaie les tu vas comprendre à quoi ça sert.» Le jaune orange de la flamme qui masquait les contours du tube de verre disparait derrière les lentilles magiques. Il fait tourner le chalumeau pour choisir la force et la précision avec laquelle il chauffera sa pièce. On songe à un tuyau d’arrosage et au jet qu’on choisit
pour arroser ses plantes. Cédric Ginart, un peu surpris par l’analogie, rigole : «Je dirai ça la prochaine fois qu’on me demande de l’expliquer !»

Souffler du verre

La flamme lèche le tube qui fond peu à peu. «En ce moment, le verre a la même texture que le miel.» Il arrache de petits bouts de substance fondue qui ressemblent effectivement à des bouchées de miel transparentes. Les molles bouchées refroidissent assez rapidement pour tinter au fond de la poubelle remplie de pièces brisées.

Cédric Ginart souffle dans le tube, la surface de verre chauffée enfle. Tout au long de l’opérationil ne cesse de faire tourner son objet de travail. «Il faut aussi faire recuire le verre, parce que sinon, il y a un stress dans la matière.» Ce qui explique la présence d’un énorme four au fond de la pièce. Finalement, il troue la boule qu’il a soufflée. Un son étrange, des vocalises de hibou dans la pièce.
« C’est l’effet du trou, de l’air et de la flamme. Ça fait ce bruit-là.»

Cédric Ginart évite à tout prix la routine. «J’aime varier. J’aime voyager pour mon travail. Je n’aime pas ce qui est répétitif», insiste-t-il. «J’ai participé à différentes expositions. J’ai collaboré avec le créateur Philippe Dubuc sur un défilé, pour l’année du verre.»

Quelques clics sur sa page Web (cedricginart.com) permettent de voir des photos des vêtements brodés de verre. «Il y a plein de projets. Je donne des cours et je veux actuellement réaliser un harmonica de verre.» Et pendant que l’entrevue passe, le tube chauffé, soufflé, coupé, travaillé est devenu un verre.