Culture

Le silence est d’or

Le réalisateur Julien Fréchette a suivi durant quatre ans l’auteur du livre Noir Canada, Alain Deneault, afin de produire son documentaire Le Prix des Mots. Le film relate la saga judiciaire entre Barrick Gold et la maison d’édition Écosociété.

 

Alain Deneault, également chargé de cours en science politique à l’UdeM, signe en 2008 le livre Noir Canada : pillage, corruption et criminalité en Afrique. Cet ouvrage recense les pratiques abusives des minières canadiennes en territoire africain. Barrick Gold, la plus importante société aurifère du monde, décide alors de les poursuivre, lui, ses coauteurs et la maison d’édition Écosociété, pour la somme de six millions de dollars.

 Intéressé par l’affaire, Julien Fréchette contacte les intimés de la poursuite-bâillon. Alain Deneault lui propose de « filmer ce qu’il veut, discrètement. »

 Le documentaire, qui visait à la base à dresser un portrait général des Strategic Lawsuit Againt Public Participation (SLAPP) – ces poursuites judiciaires démesurées qui visent à entraver le militantisme – a pris la forme de quelque chose de beaucoup plus personnel.

 L’ampleur considérable qu’a eue l’affaire sur les vies d’Alain Deneault, de ses collaborateurs et des employés des Éditions Écosociété est devenue la trame narrative du film.

 Julien Fréchette a pu étendre la production sur une période de quatre ans grâce à l’appui de l’Office national du film (ONF). « Je ne pouvais pas arrêter le film tant que ce n’était pas fini », confesse-t-il.

 Un thriller judiciaire

« Le Prix des mots est indéniablement un film avec une approche intimiste, rapporte le réalisateur. Il suit le processus d’un auteur et de son éditeur qui sont convaincus de leur droit d’écrire un livre. » Alain Deneault et ses collègues sont pris au piège dans une arène judiciaire kafkaïenne : interrogatoires prolongés, procédures interminables, jargon juridique incompréhensible. Se déroule alors un véritable thriller judiciaire où l’intrigue et la tension sont omniprésentes.

 Julien Fréchette s’immisce discrètement dans le quotidien des protagonistes dont la vie de tous les jours tourne brusquement au cauchemar à cause d’un procès démesuré. Le Prix des Mots est avant tout pour lui « un objet cinématographique qui amène à nous poser des questions. »

 M. Deneault ne pèse pas ses mots. « Je n’ai pas eu de vie pendant quatre ans. » Toutefois, le film est opportun selon lui. « Le documentaire s’intègre à la nécessité de cette lutte-là, estime l’auteur. Il apporte une sensibilité esthétique et émotive à une affaire complexe et très intelligible. »

 Le documentaire met également en scène l’inégalité qui existe à l’intérieur du système judiciaire entre le citoyen ordinaire et une multinationale comme Barrick Gold. « Le film évoque l’idée que notre système de justice est absolument corrompu par l’argent, précise M. Denault. Il démontre comment des gens sans moyens se battent contre des multinationales. »

 Malgré la couverture médiatique des événements, la plupart des gens ignorent tout de cet épisode marquant de la justice québécoise. « À mon avis, c’est une cause importante et on n’en a pas beaucoup entendu parler », souligne Julien Fréchette. C’est aussi l’opinion de Francis Grenier, un spectateur croisé lors de la grande première du film aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) en novembre dernier. « J’avais entendu brièvement parler du fameux livre [Noir Canada], mais sans vraiment en connaître la pertinence, confie M. Grenier. Le documentaire était une pure découverte. »

 Alain Deneault ne s’est pas résigné au silence, bien au contraire. « Il est important de  tenir un débat public sur les règles qui définissent l’activité des minières canadiennes et d’instaurer une commission d’enquête indépendante sur leurs agissements à l’étranger », souligne-t-il. L’auteur a publié quatre livres depuis Noir Canada, dont Paradis sous terre, qui explique comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale.

 

 Le Prix de Mots

Cinéma Excentris dès le 8 février

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