Le rap à l’assaut des médias

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Par Hélène Poulain
mercredi 3 octobre 2018
Le rap à l’assaut des médias
Les quatre finalistes du concours End Of The Weak se retrouvent le 27 octobre à Paris pour la finale internationale. Crédit Alpha Coulibaly
Les quatre finalistes du concours End Of The Weak se retrouvent le 27 octobre à Paris pour la finale internationale. Crédit Alpha Coulibaly
Le 15 septembre dernier a eu lieu la 7e finale des End Of the Weak (EOW) Montréal, une compétition d’improvisation de rap. Un style de musique qui, pour les organisateurs, n’a pas encore réussi à faire sa place dans les médias traditionnels, malgré sa forte attractivité auprès des jeunes.

«En termes artistiques et d’organisation, le rap au Québec a gagné une certaine maturité », affirme le cofondateur des EOW Benoît Beaudry. Cette maturité permet, selon lui, d’atteindre progressivement les ondes radio plus traditionnelles, à l’image de la percée du rappeur Loud. Ce dernier a en effet accédé cet été à la première position du Top Radio BDS Francophone, en étant diffusé jusque sur ICI Radio Canada Première.

Pour M. Beaudy, qui est également animateur à la radio CISM, cette visibilité grandissante permet au bassin d’amateurs de grandir avec les années. « Cette ouverture récente des médias plus grands publics bénéficie à tout le monde dans la scène hip-hop, précise-t-il. Les têtes d’affiches des festivals cet été étaient des rappeurs. »

Un avis que partage l’un des cofondateurs des EOW et étudiant en maîtrise de sociologie à l’UdeM, Guillaume Gingras. « On commence à voir le hip-hop ailleurs aujourd’hui, à l’image de la rappeuse Sarahmée, porte- parole du concours Les Francouvertes cette année », note-t-il.

Le hip-hop s’est construit par lui-même

« Pour l’instant, les grands médias sont toujours en retard de six mois » explique le journaliste pour HHQC*, Samuel Daigle-Garneau. Il ajoute que le rap ne doit pas nécessairement rentrer dans le système classique de l’industrie musicale pour trouver son public. « C’est pour ça que le hip-hop a créé ses propres canaux », précise-t-il.

Pour sa part, Guillaume confirme que la couverture médiatique a été inexistante pendant longtemps. « Très jeune, j’ai commencé à écouter du rap new-yorkais et français parce qu’il y avait peu de rappeurs au Québec et ça n’était pas médiatisé du tout », confie-t-il.

M. Beaudry abonde dans le même sens. « Il n’y avait pas de couverture de rap dans la région, raconte-t-il. La scène musicale a dû s’organiser, et amateurs et professionnels ont donc fondé leurs propres réseaux. »

Une empreinte multiculturelle unique aux codes spécifiques

M. Daigle-Garneau voit dans le rap une communauté à part, qui ne laisse accéder à son réseau que ceux qui connaissent réellement les enjeux du milieu. « Le rap est un courant musical très identitaire, précise-t-il. C’est difficile de comprendre toutes les références et de les apprécier. » Pour lui, ce genre se distingue par son multiculturalisme et l’influence des diverses langues qui l’ont bercé, rendant le milieu assez opaque.

« Ce qu’il manque dans les médias, ce sont des professionnels et des personnes spécialisés pour parler de la culture hip-hop, ajoute M. Beaudry. Il y a une ouverture, on est sur la bonne voie, mais il y a encore de l’éducation à faire. » C’est d’ailleurs le mandat de l’émission qu’il anime chaque semaine, Ghetto Érudit.

Le directeur général de la webradio CHOQ de l’UQAM, William Maurer, abonde dans le même sens. Il constate toutefois qu’une tendance se dessine. « Il a fallu du temps pour que les grands médias s’adaptent, mais ils suivent la mode et ce que le public veut voir, note-t-il. Depuis quelques années, certaines émissions ont rajeuni leur audience, ce qui permet de diffuser davantage de rap ou de contenu jeune de manière générale. »

Ne pas perdre en authenticité

Le public qui écoute du rap québécois ne le consomme pas au travers des médias traditionnels (voir vox pop), souligne M. Daigle-Garneau. « Le rap qui est diffusé sur les médias traditionnels n’a pas la même base d’initiés. » D’après lui, cela se ressent jusque dans les interviews données sur des radios généralistes avec des artistes. Les journalistes effleurent alors l’univers, mais ne rentrent pas dans le vif du sujet qui intéresse les vrais amateurs.

Guillaume soulève également une question importante « Est-ce que cette communauté underground ne voudrait pas rester underground ? », s’interroge-t-il. C’est pour lui un débat qui commence tout juste à animer l’univers hip-hop québécois.

* HHQC est une plateforme en ligne dédiée à la scène hip-hop québécoise.

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