Le projet de loi sur la liberté universitaire appelé à être modifié

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Par Paul Fontaine
vendredi 13 mai 2022
Le projet de loi sur la liberté universitaire appelé à être modifié
Certaines dispositions du projet de loi sont perçues par plusieurs membres du milieu universitaire comme des atteintes à l'autonomie institutionnelle. Photo : Edwin Andrade, unsplash.com.
Certaines dispositions du projet de loi sont perçues par plusieurs membres du milieu universitaire comme des atteintes à l'autonomie institutionnelle. Photo : Edwin Andrade, unsplash.com.

Professeur·e·s, étudiant·e·s, recteur·trice·s et chargé·e·s de cours ont presque tou·te·s tiré à boulet rouge sur le projet de loi 32 sur la liberté académique dans le milieu universitaire. La ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Danielle McCann, a promis des ajustements, mais se veut inflexible quant à la protection de la liberté universitaire et à la fin de l’autocensure.

Les consultations particulières des 10 et 11 mai derniers ont été le théâtre de vives critiques envers le projet de loi 32. Première à faire entendre sa voix, l’Union étudiante du Québec (UÉQ) estime que cette pièce législative n’a pas lieu d’être et s’oppose à son adoption. « Le projet de loi ne va régler aucun problème, a affirmé son président, Jonathan Desroches. Les situations médiatiques qu’on cherche à éviter [comme l’affaire Lieutenant-Duval], ce n’est pas avec une loi qu’on va les corriger. C’est plutôt en travaillant en amont dans un processus de formation continue de la communauté universitaire. »

La Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ), qui représente 80 % des chargé·e·s de cours de la province, soutient pour sa part l’initiative gouvernementale de légiférer en matière de liberté universitaire. Elle critique toutefois vertement la mouture actuelle, en particulier l’article 6 du projet de loi, qu’elle estime contrevenir à l’autonomie des universités. Celui-ci confèrerait à la ministre de l’Enseignement supérieur le pouvoir de dicter aux universités des modifications à leur politique interne sur la liberté d’expression.

L’autonomie universitaire : la grande oubliée

La FNEEQ n’est pas seule à s’opposer à l’article 6. Les membres de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire (Commission Cloutier) ont eux aussi émis quelques réserves. Le vice-recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi et président de la Commission qui porte son nom, Alexandre Cloutier, soutient que la portée de l’article 6 devrait être limitée seulement aux cas de non-respect de la Loi. Il propose également d’inclure le concept d’autonomie universitaire dans la définition de la liberté universitaire, alors que le projet de loi 32 n’y fait pas référence.

Sur ce point, la voix de l’UdeM est encore plus incisive. Dans un mémoire publié le 9 mai dernier, l’Université réitère son opposition pure et simple au projet de loi. Elle recommande tout de même, dans l’optique où l’Assemblée nationale décidait de légiférer en la matière, d’y intégrer l’autonomie institutionnelle. Elle propose que la liberté universitaire soit plutôt consacrée dans la Charte des droits et libertés de la personne, sans que tout le cadre législatif technique prévu par le projet de loi n’y soit inclus. Enfin, elle revendique le retrait de l’article 6.

Entre conciliation et inflexibilité

Face à ces critiques soumises par presque tou·te·s les représentant·e·s de la communauté universitaire, la ministre Danielle McCann a voulu, le mardi 10 mai dernier, se faire conciliante. Elle s’est engagée à amender son projet de loi, mais tient mordicus à établir des mécanismes pour contrer l’autocensure.

Selon un sondage mené par la Commission Cloutier et auquel ont participé 1?079 membres sur les 33?667 que compte le corps professoral québécois, 60 % ont affirmé pratiquer l’autocensure afin d’éviter l’usage de certains mots.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi actuel prévoit que chaque établissement se munisse d’une politique sur la liberté universitaire. De plus, les établissements devront également mettre en place un conseil pour examiner les plaintes portant sur le non-respect de ladite politique et pour formuler des recommandations, voire des sanctions, en la matière. Alors que ce dernier aspect est fortement critiqué, Mme McCann a précisé que ces conseils pourraient être des instances de dernier recours.

Dans son mémoire, l’UdeM soutient que « les universités québécoises disposent déjà d’instances responsables de l’application de leurs règlements disciplinaires ». De tels conseils ne feraient « qu’ajouter une énième strate bureaucratique au fonctionnement universitaire », selon elle.

Alors que plusieurs espèrent voir le projet de loi mourir au feuilleton, Mme McCann ne dispose plus que d’un mois avant la fin de la session parlementaire pour amender son projet de loi, avant de passer à son étude détaillée puis à son adoption.

L’article 6 apprécié par certains

Toutes ces critiques ne sont toutefois pas partagées par l’ensemble du monde universitaire. Pour le professeur au Département des littératures de langue française, de traduction et de création à l’Université McGill Arnaud Bernadet, ce projet de loi est plus que nécessaire. Il estime que les craintes de plusieurs de ses collègues font abstraction de « l’esprit du projet de loi ». Il a d’ailleurs cosigné, avec la professeure au même département Isabelle Arseneau, un plaidoyer en faveur du projet de loi 32 publié sur le site Internet du magazine Affaires universitaires le 5 mai dernier.

« Dans les faits, oui, l’État demande aux universités qu’elles se dotent d’une politique sous la forme, notamment, d’un conseil, a-t-il reconnu lors de sa venue à l’émission Quartier Libre sur les ondes de CISM du vendredi 6 mai dernier. En contrepartie, ce sont les universités qui disposent de cette politique et qui prendront les mesures qu’elles souhaitent. Donc, c’est parfaitement respectueux du principe d’autonomie institutionnel. »

Il soutient que l’article 6 ne doit pas être interprété comme une forme d’ingérence politique. « L’esprit très clair de ce passage-là [concerne] les politiques insuffisantes et minimalistes », a-t-il affirmé. M. Bernadet trace également un parallèle entre l’article 6 et une disposition de la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur. « L’article 16 de cette loi dit qu’il peut y avoir des mesures d’accompagnement du ministre de tutelle lorsque les politiques mises en place au sein des établissements sont insuffisantes », a-t-il précisé. Selon lui, l’article 6 serait une version pleinement suffisante de la liberté universitaire, tout comme l’article 16 l’est pour la prévention des violences à caractère sexuel.