Le premier féminicide de masse revendiqué

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Par Esther Thommeret
dimanche 8 décembre 2019
Le premier féminicide de masse revendiqué
Le Comité 12 jours d’action à organisé de nombreux évènements du 25 novembre au 6 décembre 2019 afin de lutter contre les violences faites aux femmes. Photo : Manoucheka Lacherie
Le Comité 12 jours d’action à organisé de nombreux évènements du 25 novembre au 6 décembre 2019 afin de lutter contre les violences faites aux femmes. Photo : Manoucheka Lacherie
La Ville de Montréal a reconnu le meurtre de 14 femmes à Polytechnique le 6 décembre 1989 comme étant un attentat « antiféministe ». Trente ans après les faits, ce changement de terminologie pourrait être un premier pas décisif pour prévenir les tueries de masse et développer des mécanismes de prévention.

« Depuis 30 ans, on dit : “c’est une horreur !”, mais en fait, c’est quoi l’horreur? s’interroge la chargée de projet du Comité 12 jours d’action, Claire-Anse Saint-Éloi. Mettre un mot, féminicide, et donc dire qu’elles ont été tuées tout simplement parce qu’elles étaient des femmes, c’est un gros changement. » Selon elle, pouvoir nommer ces violences aura un impact positif au sein de la société québécoise.

Appeler un attentat un « attentat »

Le changement de terminologie a été proposé par deux chercheuses du Réseau québécois en études féministes, Mélissa Blais et Diane Lamoureux. Le panneau commémoratif original installé en 1999 sur la place du 6-décembre-1989 mentionne une « tragédie », sans aucune précision quant à la nature de l’évènement ou au sexe des victimes. Jusqu’à présent, personne n’osait mettre de mot dessus.

D’après Mme Blais, l’attaque a sans aucun doute été menée contre les femmes, le geste du tireur était prémédité, un acte politique revendiqué également dans la lettre de suicide de ce dernier. « On réduisait l’évènement à une simple tragédie, un terme qui renvoie davantage à l’accident non intentionnel, explique-t-elle. Ne pas mentionner le vrai terme était un problème, puisqu’on essayait de camoufler les intentions du tueur et ce que ça révélait pour la société québécoise. »

La nouvelle version du panneau commémoratif sera plus précise :

« Ce parc a été nommé en mémoire des 14 femmes assassinées lors de l’attentat antiféministe survenu à l’École Polytechnique le 6 décembre 1989. Il veut rappeler les valeurs fondamentales de respect et condamner toutes les formes de violence à l’encontre des femmes. »

Un premier pas vers le changement

D’après les chercheuses, nommer ces violences telles qu’elles sont est un premier pas décisif pour prévenir ces tueries de masse et développer des mécanismes de prévention. « Il faut amener une réflexion en profondeur et faire le bilan de nos préjugés à l’endroit du féminisme, et qu’on l’accueille enfin comme étant un mouvement d’importance au Québec »,souligne Mme Blais. Selon elle, les dirigeants et les élus doivent également le reconnaître comme tel. « Pour ce faire, il faut qu’il y ait des élus qui le nomment, qui le disent », insiste-t-elle.

30 ans d’attente

Pour Mme Blais, la raison principale pour laquelle ce changement a mis 30 ans à intervenir est sociologique. D’après elle, le propre d’une mémoire collective est de créer de la cohésion sociale, et par son geste, le tueur a plutôt montré la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes. La misogynie lui aurait permis de penser qu’il était justifié de s’en prendre à des femmes, selon la chercheuse. « On a donc tenté de le camoufler, parce que ça demandait à la population de devoir reconnaître que ce geste s’inscrit dans un rapport sociologique, qui est ici un rapport de domination des hommes sur les femmes », développe-t-elle.

Une deuxième raison soulignée par Mme Blais est la temporalité. « Il est plus facile pour une société de reconnaître des évènements qui appartiennent au passé, précise-t-elle. Et donc, de dire “qu’à l’époque, en 1989, c’était un problème d’une société qui était sexiste.” »

En 2009, Mme Blais avait demandé un changement d’intitulé de la place du 6-décembre-1989 et n’avait jamais eu de réponse. Elle pense que 10 ans plus tard, le contexte est plus favorable.

La chercheuse affirme que cette modification a été possible en grande partie grâce aux féministes et à certaines élues du Québec comme la mairesse de Montréal, Valérie Plante, et celle de l’arrondissement Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Sue Montgomery. Toutes deux, en rappelant régulièrement l’urgence d’agir contre les violences faites aux femmes depuis 30 ans, ont fait des « brèches » dans la mémoire collective, qui ont permis d’apporter du changement. « Je n’aurais pas pu convaincre la mairie sans toutes ces voix féministes à mes côtés, c’était un travail de longue haleine », conclut Mme Blais.