L’utilisation de jouets sexuels « à succion » aiderait certaines personnes, notamment les personnes transmasculines1, à affirmer leur identité de genre. Buck Angel, éducateur sexuel, activiste pour le bien-être sexuel des hommes trans et concepteur de jouets, répond à nos questions sur le sujet.
Quartier Libre : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux jouets sexuels pour les hommes trans ?
Buck Angel : J’ai débuté dans l’industrie du divertissement pour adultes il y a une vingtaine d’années, en tant qu’acteur. C’est plus tard, il y a environ cinq ans, que la question des jouets sexuels pour les hommes trans a germé en moi.
La question m’est d’abord venue en utilisant moi-même des jouets destinés aux hommes cisgenres2, que j’avais coupés pour retirer l’extrémité et réduire la profondeur, puis bricolés de façon à ce que ça ressemble à un pénis. Ce que je recherchais, c’était vraiment que le jouet recrée la sensation d’avoir un pénis, à travers un effet de succion mécanique. C’est complètement différent des jouets à pression d’air plus high-tech. Les sensations ne sont pas les mêmes. La pression d’air offre une stimulation plus constante, plus continue. La succion mécanique est manuelle et offre plus de contrôle.
Q.L. : Comment certains jouets sexuels peuvent-ils être adaptés afin de répondre aux besoins des hommes trans ?
B.A. : Il est important de préciser que, chez les personnes transmasculines qui ont pris ou qui prennent de la testostérone, ce qui a pu être autrefois un clitoris grandit et devient plus large sous l’effet des hormones. Ça devient une sorte de petit pénis. Les jouets qui fonctionnent par succion mécanique vont alors venir enrober ce petit pénis comme une gaine ou un étui. Il s’agit ensuite de comprimer et de relâcher en alternance pour obtenir un effet de succion vers l’intérieur du jouet. Cette succion permet alors de reproduire le mouvement caractéristique de masturbation manuelle par va-et-vient sur le « pénis ».
Par contre, pour que le jouet aspire adéquatement vers l’intérieur, il faut que sa taille soit adaptée. S’il n’y a pas eu de croissance liée à la prise de testostérone, la succion peut ne pas fonctionner. Des modèles plus petits existent pour les personnes qui n’ont pas pris d’hormones, comme c’est le cas pour beaucoup de personnes non binaires, ou pour celles qui n’ont pas eu cette croissance. Mais je tiens à rappeler qu’il n’y a pas une seule façon d’utiliser des jouets sexuels, c’est à chacun d’explorer et de trouver ce qui lui convient.
Q.L. : De quelle façon ces jouets à succion peuvent-ils aider une personne à « affirmer son genre » ?
B.A. : Si on pense aux jouets par succion mécanique, certains modèles sont conçus spécifiquement pour les personnes transmasculines, afin de favoriser leur affirmation de genre.
Je connais plusieurs personnes, qui, comme moi, sont inconfortables avec l’idée d’avoir une cavité vaginale, mais qui n’ont pas la possibilité d’avoir un pénis. Ça peut être par choix, comme dans ma situation, ou parce que la chirurgie n’est pas accessible, ou pour diverses autres raisons. Ce sont des gens qui vont être mal à l’aise avec l’idée de toucher ce qui leur rappelle leur vagin, qu’ils associent à la féminité. Ça va leur apporter beaucoup de détresse, de dysphorie3. Ils vont éviter de se masturber pour cette raison. Mais certains jouets permettent de se masturber sans avoir à toucher ses parties génitales et ils peuvent ainsi leur permettre d’avoir du plaisir. D’après moi, la masturbation est essentielle, particulièrement dans le processus de transition. Personnellement, ça a changé ma vie.
Ces jouets-là peuvent aider à entrer en connexion avec sa sexualité, en percevant ses parties génitales comme « masculines ». Ça aligne ce qu’il y a dans la tête avec ce qu’il y a plus bas. Quand je l’utilise, je me sens « masculin », ça m’affirme en tant qu’homme. Sans ça, je n’arrive pas à avoir du plaisir. Et je sais que beaucoup sont dans ma situation.
Pour des hommes cisgenres, avec de plus petits pénis également, l’expérience peut mener à une affirmation de leur masculinité et être satisfaisante. Ils sont confrontés à un inconfort génital eux aussi, et ressentent beaucoup de gêne par rapport à ça.
Q.L. : Ce jouet pourrait-il également être bénéfique dans une relation avec son ou sa partenaire ?
B.A. : L’un des plus grands bénéfices qu’apporte l’utilisation de ces jouets, c’est qu’ils permettent d’apprivoiser son intimité pour éventuellement la partager avec un ou une partenaire. Construire une sexualité avec une autre personne peut être intimidant, même inconfortable, si on est mal à l’aise avec son corps, si on a de la dysphorie.
Les jouets sexuels à succion mécanique peuvent redonner confiance et fournir le courage nécessaire pour aller vers l’autre. En ce sens, c’est plus qu’un jouet sexuel, c’est un outil de bien-être. Ce sont d’ailleurs des objets qu’on peut retrouver en thérapie, pour accompagner les personnes qui éprouvent une grande dysphorie.
1. Personne transmasculine : personne assignée femme à la naissance, mais qui s’identifie partiellement ou totalement au genre masculin (ce terme peut inclure des personnes non binaires et des hommes trans).
2. Personne cisgenre : personne dont l’identité de genre correspond au genre assigné à la naissance. Exemple : un homme cisgenre est un homme qui a été assigné homme à la naissance.
3. Dysphorie de genre : détresse ou inconfort lié à l’inadéquation entre les parties génitales et l’identité de genre, ainsi que l’expression de celle-ci.
