Le porno féministe expliquée à ma mère, mon coloc et mon ex

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Par Edith Pare-Roy
mercredi 24 novembre 2010
Le porno féministe expliquée à ma mère, mon coloc et mon ex

Vendredi après-midi. Rendez-vous téléphonique hebdomadaire avec ma mère. «As-tu profité de la belle journée ?» Moi: «Pas d u tout, je prépare ma prochaine chronique pour le Quartier Libre.» Elle, l’air intéressé «Tu abordes quel sujet cette fois ? » «La porno féministe.» (Un silence passe. Revient sur ses pas. Passe à nouveau.) Je n’aurais jamais pensé discuter de porno avec ma mère, gentille, mais disons… conservatrice. Trop tard pour la censure, je me lance : «La plupart des féministes trouvent la porno traditionnelle misogyne et aliénante, centrée sur le plaisir masculin. Certaines féministes, du courant abolitionniste, veulent l’interdire. D’autres, du courant prosexe, estiment qu’une porno alternative peut servir d’outil de revendication et d’émancipation. Tu connais Annie Sprinkle ?» Elle, d’un ton mal assuré : « Non. » (Pauvre maman, tu ne sais pas ce que tu manques !) «C’est une réalisatrice américaine de porno féministe. Elle affirme que la réponse aux mauvais films XXX n’est pas la censure, mais de meilleurs films.» Ma mère profite du moment pour changer de sujet : « Parlant de bons films, as-tu vu Incendies finalement ? » «Oui, j’ai adoré.» Et voilà mon cours de porno féministe 101 déjà terminé. Je me demande ce que maman en a retenu…

Féministe VS macho

Vendredi soir. Autour d’une bière, une amie me prête Dirty Diaries, un DVD suédois qui contient douze courts-métrages de porno féministe. Journaliste dévouée, prête à corrompre mes yeux chastes pour informer le public, je m’installe dans le salon, en l’absence de mon coloc. Évidemment, la porte s’ouvre 15 minutes plus tard, durant une scène explicite (un homme mange avec appétit le sexe de sa partenaire dans le court-métrage Skin). Mon coloc rit : « Ah ouin, c’est ça que tu fais quand je suis parti ? ! » Je ne mentionne pas la pile de revues Playboy et de films XXX qui traînent dans sa chambre… «C’est pour ma chronique sur la porno féministe.» «Quoi? ! On peut mettre ces deux mots-là un à la suite de l’autre ?»

Curieux, il me rejoint, armé d’une bouteille de Captain Morgan. « C’est quoi la différence avec la vraie porno?» Je lui explique: «Il y en a pas mal… D’abord, dans ces films, on voit les femmes jouir, pas seulement les hommes. Aussi, différents corps sont représentés. » «Tu veux dire que les actrices ne sont pas toutes blondes, minces, séduisantes, pulpeuses et siliconées ? » Sur l’écran, le court-métrage Come Together se charge de répondre à sa question: des filles de tous genres se filment avec leur cellulaire pendant qu’elles se masturbent. «Autre différence: L’érotisme passe souvent par d’autres voies que la pénétration vaginale.» «C’est clair!», répond-il en regardant Fruit Cake, où on voit en alternance des images d’anus et de fruits léchés. À la fin du DVD, mon coloc semble mieux comprendre, sans être converti. «C’est quand même bizarre de voir des gants de latex, des condoms et des digues dentaires dans un film XXX…» Je défends l’idée : « Ça protège les actrices et les acteurs. L’environnement de travail est sécuritaire et, en même temps, c’est pédagogique.» Il ajoute: «Le but de la porno, c’est d’exciter, non? Pas d’instruire!» S’en suit un débat où je maintiens qu’une porno peut être à la fois éthique, artistique et sexy.

Changer de position

Samedi soir. Too Much Pussy, un documentaire d’Émilie Jouvet sur des performeuses de porno féministe, est présenté au festival image+nation. Mon ex-copine accepte de m’y accompagner. Je cache mal ma joie machiavélique. Comment réagira cette féministe antiporno à un film féministe prosexe ? Durant le documentaire, malgré l’étrangeté de la situation (regarder des scènes pornos dans un cinéma avec son ex…), je jubile. Elle écoute d’une oreille attentive les explications de Jouvet : « En représentant le plaisir féminin, on dit aux femmes qu’elles n’ont pas à avoir honte de leur corps ni de leurs désirs. Qu’elles peuvent avoir une sexualité épanouie et saine elles aussi, sans nécessairement correspondre aux stéréotypes féminins. C’est de l’empowerment (prise de pouvoir). » À la fin, je demande à mon ex : «Alors, comment as-tu trouvé ça ?» Elle répond, un peu gênée : « Maintenant je vois comment la porno peut être utile, comme moyen d’affirmation et pour transformer la honte en fierté… » Je crois rêver. «Alors, ça y est, tu changes ta position sur le sujet ? » « Oui. » Quel happyending!

Les personnages de cette chronique sont fictifs, toute ressemblance avec la réalité serait le fruit du hasard. Les faits, eux, sont bien réels.