Culture

 »Le hip-hop c’est le rêve américain : tout est possible »

23 h46, le jeudi 31 mars. Le premier karaoké hip-hop montréalais bat son plein. Sur mon téléphone, je reçois un texto plutôt laconique : «Là». C’est Seba, le rappeur du groupe Gatineau qui vient d’arriver au Belmont. Lui et moi devons jaser de son second album, Karaoké King. L’occasion est parfaite, seulement le bar est bondé, alors nous sortons. Confessions urbaines, au coin des rues Mont-Royal et de Saint-Laurent.

«L’idée de faire un disque “hommage” à Claude François m’est venue en regardant le film Podium, avec Benoit Poelvoorde. En fait, à l’origine il n’y avait que la chanson Karaoké King qui s’y rapportait, et puis c’est devenu le nom de l’album, et on a fini par lui dédier la pochette du disque.

J’ai découvert Claude François un peu par hasard. C’était en 2008. Gatineau jouait en France, à Ax-les-Thermes, dans le cadre du festival De l’oxygène pour les oreilles. La date coïncidait avec les 30 ans de sa mort, je suis tombé sur un hommage à son œuvre à la télé. Je suis rentré dans son univers avec les tounes un peu quétaines – Alexandrie, Alexandra, etc. –, mais peu à peu, à la suite d’une peine d’amour, j’ai découvert des morceaux plus profonds.»

Tombé dans la marmite

« Je suis tombé dans le hip-hop dans les années 1980. J’ai commencé à approcher cette culture via le graffiti, le beatboxing. Et puis, un beau jour, alors que je travaillais chez un disquaire, je me suis mis à rapper par-dessus ce qui jouait. Je suis rentré chez moi et me suis dit qu’il était temps d’arrêter de niaiser, que je pouvais mieux rapper que la plupart des morceaux que j’entendais.

Aux débuts de Gatineau, on était plus proche de la scène rap grunge/punk, à la manière des Beastie Boys, de Stupeflip ou des Svinkels. Avec ce nouveau disque, cette fois, on veut aller chercher ce qu’il y a de meilleur dans la variété : les ponts chantés, les chansons hyperconstruites.

J’ai toujours fait du rap progressif, parce que c’est ce qui correspond aux personnes avec lesquelles je travaille. Cela dit, ça me plairait énormément de sortir un disque plus classique, à 90 BPM* avec des petits refrains chantés.

J’avais pas mal décroché du rap dans les années 1990, le gangsta rap ce n’est pas mon truc, mais je me suis réconcilié avec la scène actuelle. Je suis très fan de Theophilus London ou d’Odd Future par exemple. Ils reviennent à l’essence du mouvement, à cette philosophie do it yourself. Le hip-hop c’est le rêve américain : tout est possible !»

Du «rap de blog» et du hipsterisme

«Je n’ai pas commencé à écouter du rap parce que c’était cool, c’est simplement la musique que j’avais à portée de main! Ce qui est fou, c’est de voir ce que les acteurs du mouvement en ont fait. Tu peux toucher à plein de choses via le hip-hop: la musique, les arts visuels, la mode – cette culture se résume d’ailleurs à ça pour beaucoup de monde. Dans le sens inverse, ça marche aussi, je suis très influencé par le cinéma ou les séries télévisées, entre autres. Je regarde énormément de films : deux ou trois chaque jour.

Aujourd’hui, je travaille à temps partiel dans un club vidéo. Sinon, je participe à des campagnes d’affichage. Je me déplace presque toujours avec mon fixie***. J’ai dû travailler plus quand les tournées du premier album se sont terminées, mais j’aime ça, avoir un emploi, la routine c’est parfois très rassurant.»

Propos recueillis par Justin D. Freeman


*90 BPM: tempo «historique» des morceaux de rap, établi à 90 battements par minute.

**Beatboxing : Il s’agit de l’un des cinq «piliers» du hip-hop. Cette discipline particulièrement technique consiste à imiter vocalement une batterie, une boîte à rythmes voire même une mélodie.

***Fixie : Vélo à pignon fixe.

Claude François

Vous pensez ne pas connaître Claude François ? Vous vous trompez. C’est lui qui a coécrit et cocomposé My way (Comme d’habitude) repris par Franck Sinatra, Elvis Presley ou même Nina Simone, entre autres.

Figure de proue de la variété française des années 1960 et 1970, «Cloclo» a popularisé strass, paillettes… et Claudettes, de jolies danseuses fort peu vêtues.

Il s’éteint tragiquement en 1978, en allumant la lumière dans sa salle de bain.

Podium: Ce film français, sorti en 2004, est à la fois un hommage à Claude François et un pastiche de ses sosies. La comédie met en scène Bernard Frédéric (Benoit Poelvoorde) qui renfile son costume, après avoir abandonné l’imitation pendant des années.

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