Les études constituent une porte d’entrée pour de nombreux·ses étudiantes. / Crédit photo : Coralyne Jullien

Le gel du Programme de l’expérience québécoise touche la communauté étudiante internationale

L’automne dernier, le gouvernement du Québec a annoncé réviser sa politique en matière d’immigration. Pour ce faire, il a pris la décision de suspendre certains programmes, dont celui de l’expérience québécoise (PEQ), un choix qui inquiète les étudiant·e·s internationaux·ales qui espèrent concrétiser leurs projets professionnels et personnels dans la province.

Ces dernières années, le gouvernement du Québec a fait preuve de souplesse en ce qui concerne l’accueil de nouveaux·elles arrivant·e·s. Désormais, il veut s’accorder le temps d’enquêter et de revoir ses seuils d’immigration. « Nous voulons équilibrer les besoins économiques et la capacité d’intégration des immigrants », a déclaré le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec, Jean-François Roberge, lors d’un discours prononcé le 28 janvier dernier dans le cadre du dépôt du projet de loi 84 sur l’intégration nationale. 

L’accueil de récent·e·s immigrant·e·s a en effet connu une hausse fulgurante, qui surpasse les cibles annuelles d’immigration permanente, fixées à 50 000 nouvelles admissions. Par exemple, en 2022, 68 700 nouveaux·elles immigrant·e·s permanent·e·s se sont établi·e·s au Québec, tandis qu’en 2023 et 2024, la province en a accueilli respectivement 52 800 et 60 000, selon l’Institut de la Statistique du Québec. 

De plus, lors du dépôt du Plan d’immigration du Québec 2025, le gouvernement a déclaré vouloir revoir les seuils d’immigration en fonction des besoins économiques de la province, en se concentrant sur les secteurs qui rencontrent encore une pénurie de main-d’œuvre, comme ceux de la construction, du transport, de la machinerie ou encore des soins de santé. En étant plus sélectif, le gouvernement du Québec veut éviter de provoquer un surplus de travailleur·euse·s étranger·ère·s dans les secteurs où les besoins sont moins importants. 

En plus de restreindre l’immigration permanente, le gouvernement souhaite également resserrer ses critères de sélection, en faisant du français l’une de ses priorités. Le gouvernement vise à ce que 80 % des immigrant·e·s qui viendront s’établir au Québec sachent s’exprimer en français, dans le but de protéger et de préserver la langue française dans la province. 

Il a donc décidé de proroger le dépôt des candidatures pour certains programmes d’immigration jusqu’à la fin du mois de juin prochain. Par ce fait même, la prorogation lui donne le temps d’évaluer les demandes de certificat de sélection du Québec (CSQ) encore sur la liste d’attente. 

Suspension des programmes phare

Depuis le 31 octobre dernier, le gouvernement a donc interrompu le PEQ, qui permettait aux étudiant·e·s internationaux·ales tout juste diplômé·e·s d’un établissement d’études postsecondaires québécois de présenter une demande de sélection permanente au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) afin d’obtenir la résidence permanente et d’intégrer plus rapidement le marché du travail québécois.  

Depuis sa création en 2010, le PEQ est l’une des portes d’entrée privilégiées des étudiant·e·s pour s’installer au Québec et a gagné en popularité au cours de la dernière année. En 2024, le gouvernement provincial a en effet émis 14 500 certificats de sélection du Québec (CSQ), contre 3 643 en 2023 et 1 958 en 2022, selon le MIFI. Il compte désormais revoir ces chiffres à la baisse pour 2025, d’où la suspension du programme pendant huit mois. Le gouvernement souhaite n’accueillir qu’entre 4 500 et 5 700 étudiant·e·s et travailleur·se·s cette année par l’entremise du PEQ, soit une baisse d’un peu moins des deux tiers par rapport à 2024. 

La suspension soudaine du programme en octobre dernier a toutefois contraint les étudiant·e·s récemment diplômé·e·s qui avaient l’intention de s’installer au Québec sur la durée à modifier leurs plans. Le PEQ et le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ), qui s’intitule le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) depuis le 29 novembre dernier, représentaient à eux deux la moitié de l’immigration permanente de la province, selon Radio-Canada. Bon nombre des personnes qui comptaient sur ces programmes doivent donc maintenant trouver d’autres solutions pour rester sur le territoire.

Les options au PEQ 

Bien que les étudiant·e·s internationaux·ales nouvellement diplômé·e·s ne puissent plus déposer de demande pour le PEQ, celles et ceux touchés par les mesures du gouvernement disposent néanmoins de certains recours pour rester dans la province. Dans un premier temps, « ils pourraient demander leur admission dans un nouveau programme et poursuivre leurs études comme étudiants temporaires », suggère la professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal France Houle. 

Celles et ceux qui ne souhaitent pas poursuivre leurs études peuvent faire la demande d’un permis de travail postdiplôme (PTPD) auprès du gouvernement fédéral. Celui-ci s’adresse aux étudiant·e·s qui ont terminé un programme d’études d’au moins huit mois dans un établissement d’enseignement désigné (EDD), tel que le reconnaît le gouvernement du Canada, et leur permet de travailler à temps plein dans n’importe quel domaine. Le PTPD peut servir de tremplin pour acquérir l’expérience professionnelle nécessaire pour postuler à d’autres programmes d’immigration. 

Autrement, «pour les étudiants qui auraient trouvé un conjoint au Québec, il est possible d’être parrainé par celui-ci pour pouvoir rester », ajoute Mme Houle. Cette option est la seule à l’heure actuelle qui donne la possibilité aux étudiant·e·s internationaux·les d’accéder à la résidence permanente, car elle s’inscrit dans le cadre du regroupement familial. 

L’effet pervers de la suspension 

Les mesures du gouvernement du Québec restent une source d’incompréhension pour un certain nombre de personnes, parmi lesquelles le président de l’Union étudiante du Québec, Étienne Paré, qui a expliqué au cours d’une entrevue à Radio-Canada publiée le 31 octobre dernier que la majorité des individus qui postulent en temps normal pour le PEQ sont issus de l’immigration francophone. Pour lui, la suspension du programme contrevient ainsi aux ambitions que promeut le gouvernement, parmi lesquelles favoriser l’immigration francophone au Québec afin de préserver la langue française. De plus, cette décision bouleverse les projets de vie de ces personnes, installées au Québec depuis plusieurs mois, voire plusieurs années.  

Certain·e·s spécialistes jugent également inquiétante la suspension de tels programmes d’immigration. Déjà en 2023, le groupe de réflexion Institut du Québec avait rappelé au gouvernement l’importance des programmes comme le PEQ. Selon l’un de ses rapports, la province a tout intérêt, afin de garder ses avantages vis-à-vis des autres provinces pour assurer la rétention de ses diplômés étrangers, à se doter de tels programmes d’accès à la résidence permanente. En outre, le rapport indique que les délais et les conditions pour obtenir un PEQ « constituent un risque de voir les meilleurs candidats se tourner vers d’autres provinces ou d’autres pays, après avoir obtenu un diplôme québécois et acquis une expérience de travail et culturelle dans cette province ». 

Dans tous les cas, le gouvernement dévoilera ses nouvelles orientations pour l’année en cours lors de sa planification pluriannuelle en matière d’immigration. Il annoncera également s’il entend aller de l’avant avec le rétablissement du PEQ ou bien s’il entend prolonger sa suspension, en fonction des résultats de l’étude réalisée actuellement.

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