Il est 8 heures du matin au Complexe sportif du Collège André-Grasset, et alors que le jour se lève à peine, des cris et des encouragements se font entendre sur le terrain de football. Courses, passes, évitements. Pas de doute, des personnes pratiquent un entraînement sportif. Mais ici, pas de Tom Brady, détenteur de sept bagues de champion, ou de Patrick Mahomes, quart-arrière vedette de la National Football League (NFL). L’étudiante en dernière année du baccalauréat en droit à l’UdeM Amélia Desrochers et celle en deuxième année au baccalauréat en neuroscience cognitive Noémie Olmand pratiquent le flag-football avec leurs coéquipières.
Même si elles sont habituées à s’échanger le ballon oval, y jouer à un niveau universitaire est une première. Le Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) vient en effet de créer une ligue féminine de flag-football.
Mais quel est ce sport ? Le flag-football est une variante du football, née dans les années 1920, dans l’objectif de proposer une alternative moins dangereuse à celui-ci. Les contacts, dont les plaquages, y sont interdits. Les joueuses sont munies d’une bande de tissu, nommée un drapeau ou flag, que les adversaires doivent leur retirer pour arrêter la progression de l’attaque. De même, aucun coup de pied de transformation de touché n’est autorisé. Les joueuses évoluent également sur un terrain plus petit?: il mesure 70 verges de long par 25 de large, hors zone de buts, contre 100 par 50 pour celui du foot-ball américain et 110 par 65 pour celui du football canadien. De plus, elles jouent moins longtemps que les joueurs de football professionnel : sur deux périodes de 20 minutes contre quatre de 15 minutes.
Un niveau universitaire attendu et souhaité
Les joueuses, qui pratiquaient déjà ce sport au cégep ou au secondaire, attendaient depuis longtemps cette compétition universitaire, laquelle répond ainsi à une forte demande. Sans celle-ci, elles auraient dû, avant l’automne, trouver d’autres options sur le campus.
L’idée d’une ligue universitaire a fait son chemin parmi les joueuses de flag-football dans la province. Pour évaluer l’intérêt de mettre sur pied une ligue pour leur sport, elles avaient lancé un sondage sur Facebook à l’automne 2020.
Celui-ci avait révélé que près de 350 joueuses étaient favorables à la création d’une ligue, pour ce qui est de l’UdeM, selon Amélia Desrochers. Les résultats étaient semblables pour les autres universités québécoises. « Il fallait aussi montrer une volonté [de créer une ligue] commune avec d’autres universités pour qu’il n’y ait pas que l’UdeM qui embarque », précise l’étudiante. Chacune des sept universités du Québec suivantes soit l’UdeM ; l’Université Laval ; l’Université du Québec à Trois-Rivières ; l’Université du Québec à Montréal ; l’Université du Québec en Outaouais ; l’Université de Sherbrooke et l’Université Concordia, devaient montrer leur intérêt et s’impliquer pour que la ligue puisse voir le jour et permettre à plusieurs équipes de s’affronter. Toutefois, le plus dur restait à faire : l’organisation.
Première difficulté: créer la ligue
Une fois l’intention de créer une ligue formulée, la première étape a consisté à établir le cadre et les structures pour jouer. La ligue de flag-football a décidé de travailler avec le CEPSUM. Les joueuses ont ainsi créé leur équipe « élite », c’est-à-dire un club sportif, sous la forme d’un organisme à but non lucratif pour regrouper les meilleurs éléments. C’est cet organisme qui affronte les équipes des autres universités. Afin de constituer la sienne, il a effectué une sélection les 20 et 22 août derniers parmi 90 joueuses. Quinze d’entre elles ont été retenues pour faire partie de la première équipe féminine compétitive de flag-football de l’UdeM.
Les joueuses non sélectionnées jouent quant à elles au sein de la ligue interne du CEPSUM, créée elle aussi en début de saison, ce qui leur donne l’occasion de continuer à s’entraîner. Elles disputent des matchs entre adhérentes du CEPSUM et s’affrontent pendant la session. « La ligue interne permet aux filles de se développer avec une compétition à l’interne », précise Amélia Desrochers.
Deuxième difficulté: mettre en place l’équipe
Le statut d’organisme à but non lucratif ne permet pas au club sportif de bénéficier de commandites et l’équipe doit donc obtenir son financement grâce à des dons ou à l’autofinancement. « C’est nous, au conseil d’administration, qui engageons les employés, comme l’entraîneur, et qui devons gérer la location du terrain, explique Amélia Desrochers. Nous devons aussi acheter les uniformes du club.»
Pour se financer, l’équipe a, par exemple, décidé de rendre l’accès aux sélections payant. « Nous projetons d’organiser des tournois et d’inviter des cégeps, des écoles secondaires et d’autres universités à venir jouer ici », ajoute l’étudiante. Les quatre membres du comité d’administration ne se disent toutefois pas inquiètes au sujet du financement de l’équipe. Pour s’entraîner, les joueuses ont trouvé refuge sur le terrain du Complexe sportif du Collège André-Grasset.
L’entraîneur au sein de l’équipe nationale sénior féminine de flag-football, Alexandre Desjardins, a été recruté afin d’entraîner la ligue de l’UdeM trois à quatre fois par semaine pendant deux heures. Il dirigeait auparavant les équipes du Collège Ahuntsic et amène donc aux joueuses de l’équipe de l’Université son expérience ainsi qu’une exigence de haut niveau.
Un avenir prometteur
L’entraîneur de la première équipe udemienne de flag-football féminin est bien placé pour constater les progrès de celle-ci. « On le voit déjà au tournoi, elles sont habituées à jouer à cinq contre cinq », déclare-t-il.
Pour faire grandir ce sport encore plus, la ligue devrait, selon l’équipe, devenir compétitive et faire en sorte que cette dernière puisse rejoindre les Carabins. Plusieurs éléments sont requis pour y parvenir. Tout d’abord, quatre universités au minimum doivent émettre le souhait de suivre leur équipe à un plus haut niveau et être en mesure de donner les moyens matériels et humains aux équipes compétitives.
« Il faut que nous fassions nos preuves et que nous montrions que le sport monte de niveau, estiment les membres du comité d’administration, l’étudiante en deuxième année de baccalauréat en génie industriel à Polytechnique Emma Racine et celle au certificat en gestion des ressources humaines à HEC Montréal Sarah Cormier. Les universités ont trouvé le projet attrayant, mais voulaient voir une réelle ferveur sur plus d’une année pour s’engager dans une ligue universitaire compétitive. »
L’avenir de la compétition passe aussi par la promotion dans les collèges, même si l’enthousiasme semble déjà présent, tant au niveau du corps enseignant que des élèves et des candidates potentielles. « Il y a un gros intérêt pour cette ligue, nous avons même une enseignante de secondaire qui nous demande sur notre page Facebook si elle peut venir avec ses élèves », se réjouit Amélia Desrochers. Les sondages lancés l’hiver dernier auraient confirmé cet engouement. « Environ une cinquantaine de filles, qui seront à l’université en 2022 ou 2023, sont intéressées par l’équipe », poursuit l’étudiante.
La compétition pourrait également faire des émules dans les autres provinces, notamment en Ontario et en Saskatchewan. La Fédération canadienne de football observe pour sa part l’évolution du sport au Québec : « Il pourrait même y avoir un championnat canadien des universités en mai 2022 », pense M. Desjardins.