Le dernier beatnik

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Par Charlotte Biron
mardi 1 novembre 2011
Le dernier beatnik

L’artiste visuel engagé Eric Drooker donne une conférence un samedi soir, fin octobre, dans la librairie Drawn and Quarterly sur la rue Bernard. La petite salle est pleine pour écouter l’iconoclaste new-yorkais parler d’art et d’activisme.

 

Eric Drooker

 

Eric Drooker accorde son banjo devant une petite foule. Personne n’a l’air étonné de l’entendre jouer de la musique country, même si tout le monde est venu l’écouter parler d’arts visuels et d’engagement social. En t-shirt gris et en nervosité, Eric Drooker s’affaire derrière une toile blanche, un projecteur et un ordinateur. « Vous pouvez attendre cinq minutes?», dit-il inutilement à ses admirateurs persuadés d’être devant le dernier beatnik.

 

L’homme de 53 ans a créé plusieurs couvertures pour The New Yorker. Il a conçu les images d’Howl, un film d’animation du poème d’Allen Ginsberg. Il a aussi pondu deux romans graphique s , Flood ! et Blood Song. Présenté comme un héros de son genre, le très new-yorkais Eric Drooker commence par nous demander ce qu’on fait ici au lieu d’être à Occupons Montréal. «Il y a de la nourriture gratuite là-bas, non?» demande-t-il. Il rajoute : «Où est mon roman? Je veux lire des extraits.» Les libraires partent à la recherche du roman. Il sort un harmonica. «Est-ce que c’est un workshop? Ça peut être n’importe quoi.» Les idées de l’artiste Eric Drooker surgissent dans une certaine fébrilité, un chaos décontracté.

 

 

«Au début, je croyais que l’art devait être abstrait, cryptique », commence Eric Drooker en montrant ses premières œuvres, qu’il a réalisées avec des pochoirs sur du béton new-yorkais. Sa phase cryptique, mystérieuse ou abstraite, pour le paraphraser, ne dure manifestement pas. Eric Drooker cherche aujourd’hui à parler d’un art qui prône des valeurs, qui agit sur le monde. Il prend l’harmonica et joue en montrant ses toiles. New York apparaît : musiciens, itinérants, hommes d’affaires et femmes géantes luttent entre eux et contre l’espace.

 

De l’art sur les autobus

Affiche à télécharger gratuitement ici: http://www.gstrike.org/De l’art sur les autobus

«C’est ironique. On est devenus vraiment square. Les affairistes en complet et en cravate sont bien moins coincés. Les artistes veulent accéder aux galeries, être dans des musées. Les artistes veulent être archivés, s’énerve l’artiste. Mais c’est pour les morts, les musées.» Eric Drooker a fait une affiche pour occupytogether.com. Les gens peuvent l’imprimer gratuitement et l’afficher, et elle est maintenant, selon lui, placardée à Wall Street. Pour cet artiste engagé, les images des artistes devraient parasiter librement les murs des rues, les espaces de métro, les autobus. «Les gens en marketing et en publicité ont compris. Ils ont saisi tous les espaces où le public est captif. Tu veux être vu, entendu, mets ton message sur un autobus. Les gens vont le voir», plaide-t-il.

 

L’alchimiste de l’horreur

Durant un voyage en Palestine, Eric Drooker a proposé à une famille qui vivait à côté du mur construit par Israël d’embellir le bloc gris, de peindre dessus. Au lieu de l’image controversée prévue – un personnage muni d’un marteau détruisant le mur –, les enfants ont pris d’assaut leurs pots d’acrylique et ont recréé un paysage sur le gris. Il nous présente la photo du mur gris peinturluré de fleurs, d’arbres et de deux ou trois soleils. Mais même paré de beaucoup de couleurs, le mur existe toujours. Eric Drooker résume son dilemme d’artiste par une tirade décousue : «C’est bien la preuve de l’impuissance de l’art. Mais qu’est-ce qui était plus important : donner l’impression aux enfants d’avoir un peu de contrôle sur leur paysage ou laisser la laideur du mur et ne rien faire pour rendre ce qui est horrible plus beau?»

 

Peindre sur les murs de la bande de Gaza, c’est comme créer une couverture pour The New Yorker. « Pour faire une oeuvre critique, il faut faire quelque chose de très, très beau ou de très, très drôle», explique Eric Drooker. «Il y a un mur à Gaza, mais il y avait aussi un mur à Wall Street. Un mur psychologique. Et depuis un mois, des cendres de Ground Zero, les gens sont arrivés, et maintenant à travers le monde, les gens se rassemblent.» Vif, Eric Drooker s’arrête brusquement, fait des rythmes dans son micro et laisse ses images défiler, visiblement ravi de savoir que Occupy Wall Street fait des petits.