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Le danger des sondages trop précis

Les résultats des deux dernières élections présidentielles américaines se sont avérés bien différents de ce que les sondeurs avaient prédit. Devant cette situation, plusieurs observateurs s’inquiètent de l’avenir de l’industrie du sondage. De son côté, le doctorant en philosophie politique à l’UdeM, Mario Ionut Marosan,voit plutôt d’un bon œil les échecs rencontrés par les sondeurs. Quartier Libre s’est entretenu avec lui pour comprendre sa réflexion sur le sujet.

 Quartier Libre : Vous avez déclaré dans The Conversation « Le problème avec les sondages n’est pas qu’ils sont faux, mais qu’ils pourraient devenir vrais. » Qu’est-ce que cela veut dire ?

Mario Ionut Marosan : C’est une référence aux théories de la philosophe du politique Hannah Arendt. Pour elle, l’une des particularités fondamentales de l’humain est que dès sa naissance, il peut introduire du nouveau dans le cours des évènements. S’il peut changer les choses, c’est parce qu’il peut briser les codes qui le rattachent à sa famille, à son environnement et à ses origines. Le danger avec les sondages, c’est qu’ils poussent les gens à se comporter de façon à être en accord avec leurs prédictions. Ils se disent que si les sondeurs savent de quoi ils parlent, ils devraient se conformer à leurs impressions. En dressant un tableau uniforme de la société et des groupes qui la composent, les sondages, d’une certaine façon, nient l’imprévisibilité même de l’homme.

Q.L. : Peut-on alors dire que les sondeurs ne se rendent pas compte de l’effet que les sondages ont sur la population qu’ils étudient ?

M.I.M. : Par sa nature, l’industrie du sondage amène un esprit de compétition, une agressivité qui peut devenir nocive pour la société. Les sondages industriels viennent éclipser la discussion, qui doit être centrale dans l’exercice politique, et la remplacent par un spectacle. Les gens consomment les sondages comme des spectateurs qui reçoivent passivement l’information. Ils devraient plutôt pouvoir agir comme des auditeurs sensibles à ce qu’ils écoutent et qui critiquent l’information qu’ils reçoivent. 

Q. L. : Doit-on comprendre que les sondages agissent comme l’une des principales courroies de transmission entre la population et les politiciens ?

M.I.M. : En effet, les politiciens ont un rôle important à jouer là-dedans. D’un côté, ils subissent l’effet des sondages, et de l’autre, ils en demandent eux-mêmes pour pouvoir tenter de mesurer la popularité de leurs actions et de leurs politiques. Ce faisant, ils éloignent la discussion du dialogue autour du bien commun et s’adonnent plutôt à une sorte de jeu autour de la politique. D’ailleurs, l’utilisation du vocabulaire associé aux jeux et aux sports, utilisé pour commenter les sondages, cache une vision de la politique violente et carrément mauvaise. Ça sous-entend que les autres sont des adversaires et que l’on doit travailler à les empêcher d’avancer leurs idéaux politiques. Si on est dans l’affrontement dès le départ, on n’arrivera jamais à s’entendre sur un objectif qui va dans le sens du bien commun.

Q. L. : Dans ce monde idéal où les gens participeraient activement à la discussion politique, y aurait-il toujours une place pour les sondages ?

M.I.M. : Ce n’est pas vraiment à moi de me prononcer sur ça, ce sera aux gens de décider si les sondages peuvent occuper une place au sein de la discussion politique. Je pense tout de même que les sondages peuvent avoir leur place, mais ils doivent concéder qu’ils ne sont pas la seule expression de la vérité. Ils peuvent aider à mettre en lumière certaines tendances, mais de là à généraliser leurs conclusions à l’ensemble de la société, il y a un pas trop facilement franchi. Les sondeurs devraient être les premiers à avoir cette réflexion envers leur propre travail. Ce qui est bien avec leurs récents échecs, c’est qu’ils sont en quelque sorte forcés de se questionner sur tout ça. 

Q. L. : Vous reprochez aux sondages de réduire l’expérience humaine, mais il est normal pour la méthode scientifique d’encadrer son sujet d’étude afin d’en faciliter l’analyse.

M.I.M. : Tout à fait, mon point de vue n’est pas de nier l’apport des sciences, je dénonce toutefois l’idée selon laquelle la seule vérité valable est celle qui peut être démontrée objectivement et scientifiquement. En faisant cela, on écarte toutes les autres expressions de la vérité qui peuvent être atteintes par d’autres procédés comme la littérature. Par exemple, en lisant Kafka, on découvre de nombreuses pépites de vérités qui s’activent, et Kafka n’a pas besoin d’un raisonnement mathématique pour nous apprendre qu’il y a une angoisse chez l’homme ainsi que des relations sociales très complexes au sein des familles. Pour moi, le problème dans la façon dont les sondages mettent de l’avant le raisonnement scientifique, c’est qu’elle éclipse ces autres expressions de la vérité.

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