Campus

L'équipe de soccer féminine se rassemble autour de Maude Poulin avant leur plus récente victoire au championnat provincial. Photo : courtoisie James Hajar

L’adieu aux Carabins, une période charnière

Hiver 1992. Étudiante au certificat en gestion d’entreprises, Manon Simard fait pour la quatrième année partie de l’équipe féminine de natation des Carabins et fait également partie de l’équipe nationale du Canada. Elle tente d’obtenir une place au sein de la délégation canadienne des Jeux olympiques d’été de Barcelone et vient de se qualifier pour le dernier tour des sélections. Son palmarès est prolifique : il comprend près d’une vingtaine de médailles d’or. Elle a aussi été nommée athlète universitaire du Québec l’année précédente.

Toutefois, le corps de la spécialiste des 100 et 200 mètres dos est en baisse de régime. Une apnée du sommeil, qu’elle ne découvrira que des décennies plus tard, sabote son repos. En effet, les Carabins, peu financés à l’époque, ne disposent alors pas d’équipe médicale, et son problème de santé passe inaperçu au fil de ses entraînements. À celui-ci s’ajoute l’horaire de ses cours dans le cadre de son certificat en gestion d’entreprises, où elle arrive en sentant le chlore dans ses yeux.

L’usure est lente, la fin sera abrupte. Elle perd « l’élastique de son corps » avec la prise d’antibiotiques pour remédier à un abcès dentaire. Elle fait alors part à son entraîneur de sa décision : elle ne nagera pas au dernier tour de sélection pour les Jeux olympiques et se consacrera désormais pleinement à ses études de maîtrise à HEC Montréal, où elle vient d’être admise.

Celle qui est aujourd’hui la directrice générale du CEPSUM et du sport d’excellence se remémore cette décision de ne pas poursuivre son sport comme un « beau » moment de fierté dans sa vie. La poursuite des études supérieures lui est chère ; l’acceptation à la maîtrise a eu le même effet en elle que lorsqu’elle a rejoint les rangs de l’équipe nationale. Mme Simard a planifié dès sa deuxième année à l’Université ce qui suivrait après la natation, poussée par des discussions avec son entraîneur. Pour celui-ci, « l’humain primait sur la performance ».

Quitter l’univers des Carabins et du sport universitaire est une transition de vie inévitable. La fin de carrière sportive est une période charnière pouvant prendre des formes variées, certaines plus difficiles que d’autres. 

Originaire de Genève, Kaleigh Quennec a participé aux Jeux olympiques de Beijing avec l’équipe nationale féminine de hockey de la Suisse en 2022. Photo : Courtoisie James Hajjar.

Phénomène courant

Près d’un·e athlète sur cinq vit difficilement la fin de sa carrière sportive, au point d’avoir besoin d’un accompagnement professionnel, avance la préparatrice mentale des Carabins, Sarah Brisson-Legault.

La consultante en performance mentale accompagne régulièrement des étudiant·e·s-athlètes dans leur processus de deuil. « À force de voir leur état après le dernier coup de sifflet, la fin de carrière est devenue un sujet qui me touche », confie-t-elle.

Elle explique que plusieurs étudiant·e·s attachent leur confiance et leur estime de soi autour de « l’athlète qu’ils étaient, moins l’humain qu’ils sont » et constate que les ancien·ne·s Carabins expriment souvent le sentiment d’être perdu·e·s dans les semaines suivant leur départ.

Bien que son rôle stipule qu’elle fournisse ses services aux membres des Carabins, elle maintient un contact avec des ancien·ne·s pendant quelques semaines après leur ultime saison, pour ensuite les référer à d’autres professionnel·le·s qualifié·e·s.

Mme Brisson-Legault œuvre également à instaurer des outils pour prévenir la détresse qui peut survenir à l’arrêt de la carrière sportive. Elle collabore d’ailleurs avec la doctorante en psychologie du sport à l’UdeM Gabrielle Cadotte pour la création et l’implantation d’un atelier de groupe. Ce projet servira à vulgariser les connaissances scientifiques sur le deuil de la carrière sportive, ainsi qu’à présenter des stratégies visant à en faciliter le processus.

La forme de la transition après le sport dépend de plusieurs variables. Une préparation préalable est un prédicteur de succès et est même associée à un gain de performance. « Malheureusement, la tendance des étudiants-athlètes est d’aborder la fin vers la fin », observe Mme Brisson-Legault.

L’équipe féminine de soccer s’est inclinée face au Rouge et Or de l’Université Laval lors de la finale provinciale, en 2021. Une grosse déception pour Mégane Sauvé. Photo : courtoisie James Hajjar.

À la croisée des chemins

Un·e étudiant·e-athlète peut prendre part au circuit universitaire canadien et québécois pour un total de cinq ans, avec l’obligation de réussir un minimum de 18 crédits par année universitaire. En raison de la pandémie et de l’interruption des compétitions, le programme d’excellence sportif de l’UdeM a accordé une année supplémentaire à ses membres.

Pour se pre?munir de cette saison additionnelle, l’étudiante en deuxième année au certificat en journalisme et joueuse au sein de l’équipe féminine de rugby Ophélia Poisson-Vecchio fait face à un dilemme. Elle devra s’inscrire à temps plein à l’Université, en plus d’occuper un poste d’édimestre au sein de Radio-Canada Sports.

« Je suis dans l’incertitude, je ne me sens pas encore prête à arrêter d’être étudiante-athlète, ça fait partie de moi depuis toujours » témoigne la numéro huit de l’équipe. Bien qu’elle ait des connaissances ayant adopté un rythme de vie aussi soutenu, elle craint de s’épuiser.

Nouvelle étape sportive

Quitter les Carabins représente également un rite de passage pour les membres qui comptent faire carrière dans leur sport.

L’étudiante en quatrième année au baccalauréat en éducation physique et santé Kaleigh Quennec, qui effectue sa dernière saison au sein de l’équipe féminine de hockey, espère disputer les Jeux olympiques d’hiver de 2026 avec la sélection nationale suisse, dont elle fait partie depuis ses 14 ans. L’ailière souhaite intégrer la Force de Montréal, une équipe fondée l’année dernière, qui évolue dans la ligue de la Premier Hockey Federation.

C’est une nouvelle étape de vie qui commence pour cette native de Genève. « J’avais ma routine avec les Carabins et c’était sécurisant, mais maintenant, beaucoup de choses vont changer, déclare-t-elle. Où est-ce que je vais jouer et habiter ? Qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? ». Malgré le stress, la Canado-Suisse de presque 25 ans a hâte d’entamer ce nouveau chapitre.

L’étudiante en quatrième année au baccalauréat en enseignement du français au secondaire Mégane Sauvé, qui effectue sa quatrième et dernière année chez les Carabins, partage le même sentiment. Membre de l’équipe de soccer depuis 2017, l’ailière gauche s’entraîne encore avec son groupe et prend part aux activités d’hiver. Elle a toutefois beaucoup moins de temps de jeu afin de prioriser la relève. « Quand on n’est plus étudiante-athlète, il faut essayer de se retrouver comme personne, ça demande du temps », souligne-t-elle. L’athlète par excellence 2022 du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) tourne désormais son regard vers l’Europe pour la suite de sa carrière.

L’ancien quart-arrière des Carabins Dimitri Morand oeuvre toujours dans le milieu du football. Photo : courtoisie James Hajjar.

École de vie

La conciliation des études et du sport d’excellence est une compétence que développe chaque athlète des Carabins afin de perdurer au sein du programme. Chacun·e cite cette aptitude comme l’un des enseignements les plus marquants de son parcours.

Comme pour plusieurs de ses homologues, le passage par les Carabins a été formateur pour le titulaire d’un baccalauréat en sciences de la communication Dimitri Morand. Faire partie d’un groupe de près d’une centaine de joueurs a aidé le quart-arrière de l’équipe de football à trouver « ce qu’il souhaite laisser au monde ».

L’Aylmerois rejoint l’UdeM en 2017 sans savoir quel métier il souhaite exercer. S’il est sur le terrain à chaque coup d’envoi lors de sa deuxième et de sa troisième année au sein du groupe, il perd ensuite sa place comme joueur titulaire. Il s’en souvient pourtant comme d’un moment formateur.

L’égo du compétiteur a pris un coup, mais celui-ci a appris que le sport d’équipe ne se limite pas à la performance individuelle et que gagner tout le temps n’est pas possible. « J’avais encore un rôle à jouer, il fallait rester prêt à être appelé sur le terrain et continuer de montrer l’exemple aux plus jeunes du vestiaire », relate-t-il.

La crise sanitaire, qui a entraîné l’annulation conséquente de la saison, est le deuxième moment charnière pour Dimitri Morand. « Le confinement m’a forcé à réfléchir sur qui j’étais sans le sport », révèle-t-il. Il décide alors de poursuivre dans la voie de l’enseignement et de devenir un « acteur positif pour la jeunesse », comme il a pu l’être pour ses coéquipiers. Aujourd’hui, Dimitri Morand est l’entraîneur de l’équipe de football du Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu durant la saison. Le reste de l’année, il fait de la suppléance pour l’enseignement du français et de l’anglais au secondaire.

Devenu comptable après avoir terminé ses études et obtenu un baccalauréat et un DESS à HEC Montréal en 2018, l’ancien receveur de l’équipe masculine de football des Carabins Louis-Mathieu Normandin a grandement bénéficié de son expérience au sein de celle-ci lorsqu’il a commencé sa carrière. Une blessure au cours de sa quatrième année l’a toutefois empêché d’intégrer la Ligue canadienne de football. Si la période a été difficile, devenir professionnel n’a jamais été un réel objectif pour lui. « J’étais venu à l’Université pour étudier, j’étais rendu ailleurs», avance-t-il. Ses résultats scolaires et son implication sportive lui ont d’ailleurs valu la mention d’honneur de la gouverneure générale à l’issue de la saison 2016-2017.

L’athléte se souvient de l’ambiance du vestiaire et assure qu’aucun autre lieu ne peut recréer cette expérience. « On était une équipe où chacun coopère pour le collectif plutôt que pour soi, et je trouve cela beau », souligne-t-il.

L’esprit de groupe lui a permis d’aborder plus facilement le travail en entreprise. Il s’en est rendu compte la première fois qu’il a obtenu un stage durant ses études, au sein du géant de la comptabilité au Québec Raymond Chabot Grant Thornton. « Dans le sport, tu dois composer avec des gens qui viennent de milieux différents et qui ont des personnalités variées, ça te confère un avantage dans les relations d’emploi », précise-t-il.

Ces rencontres autour d’un sport commun ainsi que le partage des moments de gloire et d’échec permettent aux Carabins de tisser des liens d’amitié qui perdurent bien au-delà des sentiers du campus.

« Quand on gagne et qu’on s’attache à quelque chose de plus grand que soi, on ressent une fierté qu’on ne peut trouver ailleurs », affirme Mme Simard. Chacun·e des étudiant·e·s-athlètes exprime un attachement profond pour cette communauté et souhaite rendre au programme ce qu’il leur a donné.

Quelques années après sa retraite sportive, au moment où elle se voit offrir un emploi dans le secteur pharmaceutique et qu’elle termine sa maîtrise, Mme Simard reçoit un appel du directeur du Département d’éducation physique (aujourd’hui de kinésiologie) de l’UdeM de l’époque, Claude Alain. Son retour au sein des Carabins mènera à la relance du sport d’excellence à l’Université puis à son développement, avec « la volonté que le programme soit ce qu’elle aurait voulu qu’il soit » quand elle avait 19 ans.

L’équipe de football des Carabins a remporté la coupe Dunsmore (trophée du Réseau du sport étudiant du Québec) à quatre reprises, en 2014, 2015, 2019 et 2021. Crédit : courtoisie James Hajjar.

Partager cet article