La vie en rose, bleu et / ou jaune

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Par Edith Pare-Roy
mardi 22 mars 2011
La vie en rose, bleu et / ou jaune

Me voilà rendue à l’âge où mes amies tombent enceintes. «Ce sera un garçon ou une fille?» se demandentelles, ainsi que leurs familles, collègues et voisins. Cette éternelle question m’agace au plus haut point. À quoi bon étiqueter une personne avant même qu’elle naisse ?

 

Telle une trouble-fête, je tente : «Et si c’était un enfant intersexué?» En effet, il est possible que l’enfant ait des organes génitaux qui ne correspondent pas aux standards de fille ou de garçon. Par exemple, certains bébés possèdent un mélange d’attributs dits féminins et masculins : un pénis et un vagin, un clitoris et des testicules.

 

D’autres ont un clitoris plus gros que la normale ou un pénis plus petit. On estime que les personnes intersexuées forment entre deux et quatre pour cent de la population. Certains parents font opérer l’enfant pour l’assigner à un sexe.

 

Le plus souvent, les testicules sont coupés, et le pénis rapetissé pour ressembler à un clitoris, de façon à faire de l’enfant intersexué une fille. Les groupes de défense des personnes intersexuées condamnent cette pratique, jugée dangereuse et fasciste. Ils militent pour que les individus décident euxmêmes à l’adolescence ou plus tard s’ils désirent une opération.

 

En plus des intersexués, il y a ceux qui sont inconfortables avec le genre imposé à la naissance. Même si le médecin décrète haut et fort «C’est un garçon», il est possible que la personne se sente féminine et devienne transgenre ou transsexuelle. Il y a aussi les androgynes, sans oublier les genderqueers, c’est-à-dire les personnes qui refusent un genre fixe.

 

Ces dernières alternent entre le féminin et le masculin selon différentes périodes de la vie, ou encore, les adoptent simultanément. Enfin, plusieurs se conforment malgré eux aux contraintes de genre qui les rendent mal dans leur peau. Pour la liberté de toutes ces personnes et les autres, je m’oppose aux étiquettes de genre.

 

Choisir sa couleur

 

Mes activités mondaines sont remplacées par des showers de bébé et par la déco de chambres pour enfants. Malgré ma répugnance affichée pour la dichotomie féminin/masculin, mes amies me demandent d’acheter des robes ou des pantalons. Elles me tendent de la peinture rose ou de la peinture bleue.

 

Je propose le jaune, sans succès. Ça ne m’empêche pas de les emmerder avec la théorie queer. C’est le prix à payer pour profiter de mon coup de pouce.

 

J’aménage la chambre de la future «fille» d’une amie en citant Simone de Beauvoir : «On ne naît pas femme, on le devient.» Points d’interrogation.

 

«Le féminin et le masculin découlent de la construction sociale et non des organes génitaux. Nous sommes conditionnés par l’ensemble des discours (médicaux, parentaux, culturels, etc.) et par les normes.» Mon amie s’exclame : «Tant mieux s’il y a des hommes et des femmes. Ce serait ennuyant d’être tous pareils.»

 

Mais les queers ne s’opposent pas à la diversité. Au contraire, ils prônent des catégories plus souples. Comme l’écrit la philosophe Beatriz Preciado dans Le manifeste contra-sexuel, il faut que cohabitent librement hommes, femmes ET «l’intersexe, le pédé, la lesbienne, la drag queen, la butch, le transgenre et le transsexuel. »

 

Barbes dessinées

 

Question de continuer mon cours de Queer 101, j’invite mon amie à une performance de drag kings organisée à la Sala Rossa. Une dizaine de personnes du collectif Dukes of Drag enfilent veston, chemise, cravate, fausse barbe, boxer et/ou strap-on pour parodier sur scène la masculinité.

 

L’humour, la critique sociale et la virilité sexy captivent la foule, surtout composée de filles et de queers. N’empêche que le copain de mon amie apprécie aussi. Malgré les soutiens-gorge et les gstrings qui fusent de toutes parts, les drags kings se concentrent sur les chorégraphies mêlant danse, théâtre et lip sync.

 

Après le spectacle, on pique une jasette avec le drag king Lex Valentine. «Pourquoi te travestir en homme?», l’interroge mon amie. «Pour le plaisir, surtout. Mais aussi pour changer la routine et expérimenter une nouvelle façon d’être», répond-il.

 

J’enchaîne : «Selon toi, toutes les filles gagneraient- elles à tester cette expérience?» «Ça permet une réflexion sur notre socialisation, sur le sexisme et sur le genre, acquiesce le performeur. Certaines personnes découvrent ainsi qu’elles préfèrent être masculines.»

 

Il en profite pour nous inviter à un atelier organisé par son collectif. Au programme : confection de barbes et camouflage des seins. La question me brûle les lèvres : «Puisque tu te sens bien dans le genre masculin, pourquoi ne pas l’adopter ? Après tout, il y a plus d’avantages à être homme que femme aujourd’hui encore…» « J’aime bien alterner. Je ne veux pas d’une transition définitive. Parfois, je sors en Lex Valentine en dehors des spectacles. Ça dépend de mon humeur et des jours !», déclare-t-il.

 

Je demande à mon amie si elle aimera sa «fille» si «elle» se rebelle contre les règles de la féminité. «Oui, je l’aimerai quand même.» Bonne réponse, sauf pour le «quand même», qui lui vaudra une autre séance sur la théorie queer.