La veillée – Une nouvelle d’Elom Defly

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Par Élom Defly
mardi 13 novembre 2012
La veillée - Une nouvelle d'Elom Defly
Montréal était engloutie sous une brume épaisse qui, de temps en temps, laissait échapper une pluie fine. De la ville, on ne pouvait apercevoir que des halos de lumières jaunes éclairant la devanture des immeubles. (Crédit photo : juanvenegas.net)
Montréal était engloutie sous une brume épaisse qui, de temps en temps, laissait échapper une pluie fine. De la ville, on ne pouvait apercevoir que des halos de lumières jaunes éclairant la devanture des immeubles. (Crédit photo : juanvenegas.net)

Montréal était engloutie sous une brume épaisse qui, de temps en temps, laissait échapper une pluie fine. De la ville, on ne pouvait apercevoir que des halos de lumières jaunes éclairant la devanture des immeubles. Je sillonnais l’avenue Decelles avec une lampe de poche à la main.

Une voiture freina brusquement à ma hauteur avant de repartir sur les chapeaux de roue. Un chat miaula. Je relevai le col de mon manteau en même temps que je hâtais mes pas.

J’avais peur. Je me dépêchais dans l’espoir d’atteindre rapidement un lieu public.

Mais qui pouvait bien pointer son museau dehors par ce temps maussade ? Quel insensé abandonnerait la couche chaude de sa maîtresse pour une balade dans la brume ? Moi seul pouvais me le permettre. Je n’avais laissé personne derrière moi, personne à abandonner. Tous ceux qui pouvaient compter, je transportais leurs souvenirs avec moi. Je ne suis pas d’ici, je viens d’ailleurs. C’est toujours un drame de quitter son chez soi pour l’ailleurs. Tu passes ta vie à vivre de souvenirs, de tes madeleines proustiennes. Au reste, cela m’était égal. Je n’étais moi-même qu’un souvenir.

J’entendis soudain des voix s’élever en choeur. Ce qu’elles disaient m’était incompréhensible. Un choeur dans ce club de jazz à ciel ouvert aux lumières tamisées qu’était, ce soir-là, Montréal. Je voulais voir cela de plus près.

Je m’avançais dans la direction d’où venait le bruit même si mon coeur battait à se rompre. Les voix devinrent plus fortes. J’avais repéré la maison en question. Elle était située sur une petite montée drapée de feuilles mortes. La grille d’entrée, plutôt vieillotte, avait été laissée ouverte. Je franchis le seuil. Je venais de commettre une violation de domicile. Le rythme de ma respiration s’accélérait.

Je m’avançai jusqu’à une fenêtre laissée entrouverte sur la façade ouest de la maison.

Dans la pièce, des hommes et des femmes, d’origine africaine avais-je présumé, étaient assis sur des chaises. Une dizaine de bougies blanches et rouges assuraient l’éclairage.

Une femme était assise devant le groupe comme un pasteur devant ses ouailles. Quand elle termina ce qui me semblait être une litanie, la pièce se remplit de soupirs et de plaintes. Puis le silence se fit.

La prêtresse, appelons-la comme cela, sortit un papier et lut ce qui pouvait être des noms. Et les participants du groupe gémissaient à tour de rôle en entendant prononcer un nom qui les concernait. Ma connaissance de la culture africaine me fit comprendre ce à quoi j’assistais. Je ne m’attendais pas à voir une telle pratique à Montréal. J’assistais à la veillée mortuaire d’une communauté africaine. En effet, dans certaines cultures, les habitants doivent se réunir une fois dans l’année en souvenir des disparus.

J’arrêtai de regarder la scène. J’étais mal à l’aise. Non pas parce que je m’accusais de voyeurisme, mais parce que je m’étais rendu compte qu’il y avait un temps pour vivre et un temps pour se souvenir. Et moi, égoïste ou masochiste, je ne voulais pas faire le deuil de mes souvenirs et les laisser s’en aller une fois pour toutes. Je faisais un devoir de mémoire quotidien de ce qui était destiné à l’oubli. Pour une des rares fois de ma vie, je pleurai.