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En septembre 2020, Donald Trump a signé un décret visant à mettre fin aux sessions de formation sur la théorie critique de la race, dispensées aux employés du gouvernement dans diverses agences du pouvoir exécutif américain. Crédit : Roméo Mocafico

La théorie critique de la race expliquée

Lancée par des juristes universitaires aux États-Unis dans les années 1970, la Critical Race Theory (littéralement « théorie critique de la race ») est enseignée dans les écoles et universités d’Amérique du Nord. Quartier Libre s’est entretenu avec Caroline Brown, professeure agrégée au Département de littératures et de langues du monde de l’UdeM et spécialisée en théorie critique de la race dans la littérature, afin de comprendre les fondements sur lesquels se base cette théorie.

Quartier Libre : Quelles sont les prémisses de la théorie critique de la race ?

Caroline Brown : Elle se base sur l’idée que la race, et plus particulièrement le fait d’appartenir à la catégorie sociale « blanche » est un usufruit* qui est théoriquement possédé et revendiqué pour ses avantages sociaux, légaux et économiques. Elle s’appuie sur le fait que la catégorisation raciale ne correspond à aucune réalité biologique, mais relève plutôt de la construction sociale. La condition raciale d’un individu change ou évolue en fonction de cette catégorisation. Via la théorie, il est affirmé que nous vivons dans une culture de suprématie de la race blanche, inhérente à tous nos systèmes et rapports sociaux, qui a été acceptée et même normalisée.

Q.L. : D’où la théorie critique de la race tire-t-elle son origine ?

C.B. : C’est une théorie créée par des juristes universitaires, dont la juriste et féministe Kimberlé Crenshaw, spécialisée dans les questions de race [voir encadré]. Elle part du principe qu’aux États-Unis, le statut social et le pouvoir politique d’un individu sont largement déterminés par sa condition raciale. La race est un enjeu très complexe en termes de dynamiques sociales et elle définit le statut socio-économique d’un individu ainsi que son potentiel d’ascension sociale. Nous vivons dans une société accablée par cette notion de race.

Q.L. : Certaines critiques définissent cette théorie comme une idéologie anti-blanc, qu’en pensez-vous ?

C.B. : La théorie critique de la race n’est qu’une façon de penser, de critiquer et de contextualiser. Ce n’est pas une attaque individuelle. C’est un outil qui permet, entre autres, de comprendre le fonctionnement des systèmes sociaux et de saisir la complexité de l’histoire raciale aux États-Unis et ailleurs. En fait, la beauté de la théorie critique de la race est qu’elle illustre notre propre complexité comme étant une somme de races, de couleurs, de systèmes sociaux et d’identités construites. Dans une société cosmopolite comme la nôtre, nous avons besoin d’outils pour pouvoir nous comprendre et nous respecter. 

Q.L. : En septembre 2020, Donald Trump a signé un décret visant à mettre fin aux sessions de formation sur la théorie critique de la race, dispensées aux employés du gouvernement dans diverses agences du pouvoir exécutif américain. Quel est votre avis sur cette décision ?

C.B. : Si je veux être diplomate, je dirais que c’est ridicule ! La théorie critique de la race est importante en éducation, parce qu’elle alimente les réflexions et les conversations sur le sujet. L’enlever équivaut à nier qu’il y a un problème profondément systémique, qui doit être abordé et transformé. C’est une véritable tragédie, parce que cette décision implique que rien ne peut changer. Elle assure que rien ne va changer.

Q.L. :La théorie critique de la race progresse-t-elle au sein de notre société ?

C.B. : Des outils qui permettent de canaliser et de critiquer des enjeux sont toujours utiles. Par contre, une théorie seule ne va pas démanteler des problèmes qui sont profondément ancrés. Je pense que l’éducation de cette théorie est importante, mais on doit traiter ces problèmes politiquement. Une partie de ce traitement se fait par la sensibilisation pour de meilleures conditions socio-économiques et juridiques des populations marginalisées. Par exemple, dans le cas de cette pandémie, on constate que le nombre de personnes qui meurent, qui tombent malades ou se retrouvent au chômage, est lié à la situation économique des individus, mais aussi à leur statut racial. Il faut également traiter ce problème à l’échelle individuelle et se responsabiliser sur ces enjeux, afin de s’assurer de vivre le plus éthiquement possible avec nos concitoyens.

 

Témoignage traduit de l’anglais par Nour Musawi

*Usufruit : jouissance légale d’un bien dont on n’a pas la propriété

 

Encadré : Kimberlé W. Crenshaw

Kimberlé W. Crenshaw est une écrivaine et chercheuse qui a étudié les droits civils, la théorie critique de la race, la théorie juridique féministe noire, le racisme et le droit. Ses études ont identifié des problèmes clés dans la perpétuation des inégalités, et son travail a été fondamental dans l’élaboration de la théorie critique de la race. Elle est une figure héroïque pour la communauté noire et a gagné de nombreux prix pour ses recherches et son activisme.

 

Sources :https://time.com/5891138/critical-race-theory-explained/

https://aapf.org/kimberle-crenshaw

 

Intervenant : Caroline Brown, professeure agrégée, Université de Montréal. caroline.brown@umontreal.ca

 

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