La santé numérique : un enjeu phare soulevé par la pandémie

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Par Anaïs Amoros
mardi 30 mars 2021
La santé numérique : un enjeu phare soulevé par la pandémie
Les programmes en santé numérique proposés par l'UdeM permettront de former de futurs gestionnaires et professionnels de la santé qui vont développer et implanter des technologies dans le système de santé. Crédit : Irwan via Unsplash.
Les programmes en santé numérique proposés par l'UdeM permettront de former de futurs gestionnaires et professionnels de la santé qui vont développer et implanter des technologies dans le système de santé. Crédit : Irwan via Unsplash.

L’UdeM proposera deux programmes en santé numérique à partir de l’automne 2021. À cette occasion, la professeure au Département de gestion, d’évaluation et de politique de la santé Aude Motulsky explique en quoi détenir des outils numériques est essentiel pour les professionnels de la santé afin d’optimiser leurs services.

Propos recueillis par Anaïs Amoros

Quartier Libre : Qu’est-ce que la santé numérique ?

Aude Motulsky : Le vrai terme en anglais est health informatics. C’est tout ce qui s’intéresse à l’information et aux technologies de l’information, appliqué au domaine de la santé. Il s’agit des sciences de la santé, des sciences et technologies de l’information, ainsi que des sciences sociales et comportementales. Des dizaines de disciplines y sont associées. Elle permet d’améliorer la prise de décision et la prestation des services.

Q. L. : Quelle est l’importance des études en santé numérique pour les futurs professionnels ?

A. M. : En santé, nous avons un énorme retard à rattraper pour moderniser nos infrastructures et pour mobiliser ce que la technologie nous permet de faire avec notre banque ou avec notre épicerie. Si nous ne formons pas, nous ne comprenons pas le potentiel et les risques associés à la transition qui est en train de se passer, et c’est dommage. C’est important d’outiller les gens, tant pour qu’ils sachent comment intégrer la technologie dans leur pratique que pour savoir comment la gérer et dialoguer avec les techniciens.

Q. L. : Quelle a été l’influence de la pandémie sur le domaine de la santé, et comment ce retard s’est-il fait ressentir ?

A. M. : Quand on se compare à des pays comme Taïwan ou la Corée du Sud, qui étaient déjà prêts à la suite du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS)*, on avait déjà des processus informatisés beaucoup plus efficaces, tant dans les communications avec les citoyens pour les alerter sur les risques qu’à l’intérieur du système, comme la prise de rendez-vous, l’attente des résultats, etc. Au Québec, il pouvait avoir un délai de 8 à 14 jours. Pendant les premiers mois de la pandémie, on pouvait attendre au téléphone pendant parfois cinq heures pour avoir un rendez-vous. La gestion du dépistage a été une catastrophe. Plus d’un an plus tard, on a finalement une plateforme qui permet d’écourter ce temps.

Q. L. : La télésanté, qui permet de consulter un médecin sans se déplacer, se développe, notamment en raison de la pandémie. Comment considérez-vous cette technologie ?

A. M. :Il y a des avantages et des inconvénients. Un patient qui habite à 350 km de l’hôpital le plus proche va préférer faire un suivi à distance avec un médecin. La limite apparaît quand la technologie n’est pas encadrée. On a vu des services émerger un peu partout, des compagnies privées qui offrent la téléconsultation. À ce moment-là, on paie et on a accès à un médecin rapidement, mais ça accroît les inégalités. Au Québec, si on peut payer 70 $, 80 $ ou 110 $ pour avoir une consultation, on peut voir un médecin tout de suite. C’est là qu’il est important d’instaurer ces services, pour que tout le monde puisse en bénéficier quand il a en a besoin.

Aux États-Unis, la majorité des patients peuvent communiquer avec leur clinique par courriel, poser des questions et faire une consultation à distance dans certaines circonstances.

Ça a été très long et encore aujourd’hui, les cas de téléconsultation avec vidéo sont très rares, elles se font surtout par téléphone.

Q. L. : Peut-on dire que le Québec manque d’innovation numérique ?

A. M. : Je ne dirais pas que l’on manque d’innovation, il y en a même beaucoup. Je dirais plutôt qu’il faut une stratégie, une vision. Le gouvernement s’informatise lui-même dans ses interactions avec ses citoyens, c’est le point de départ. Mais l’informatisation de l’ensemble du reste de l’écosystème prend du temps et de l’argent, ce n’est pas politiquement populaire.

Ce que fait la France est intéressant. Sa stratégie est très claire, elle met des ressources en place et il y a beaucoup de concertation. Ça avance lentement, mais c’est clair. Ici, ça manque de transparence, il y a souvent eu des changements de stratégies qui nous ont fait perdre du temps. Au cours des cinq dernières années, on était en moratoire, on ne pouvait plus rien faire. La gestion de la santé numérique est très complexe. Déjà, le domaine de la santé occupe presque 50 % des dépenses de l’État, en raison des salaires, des infrastructures, etc.

Q. L. : Avez-vous un exemple québécois d’outil en santé numérique qui a fonctionné ?

A. M. : La diversité des outils est infinie, le principal sur lequel je travaille en ce moment est le dossier numérique : remplacer le dossier papier à l’hôpital par le dossier informatisé. Dans la très grande majorité des organisations, on n’y est pas encore arrivé.

Mais le CIUSS de Laval, depuis 2013, a un nouveau centre oncologique, et le personnel travaille sans papier depuis qu’il a ouvert. C’est un exemple frappant. Vous allez là-bas, il n’y a personne. Ça donne l’impression que personne ne travaille. Mais en fait, tout est calculé. Les rendez-vous sont répartis en fonction de l’historique, parce qu’on a les données pour faire l’analyse détaillée. Les patients arrivent, ils scannent leur carte, ils n’attendent jamais. Ça redéfinit complètement le fonctionnement au niveau de la gestion, de l’expérience du patient, puis au niveau de l’expérience clinique. Et ça fait un réel contraste quand on va à l’hôpital.

Q. L. : Deux programmes en santé numérique, un DESS et un microprogramme, vont être proposés dès l’automne 2021 à l’UdeM. À qui s’adresse ce genre de programme ?

A. M. : Le champ est très vaste, mais notre programme ne couvre pas tout. Il s’adresse aux gestionnaires et aux professionnels de la santé, principalement à ceux qui vont développer et implanter des technologies dans le système de santé. Des chercheurs peuvent aussi être intéressés par le côté analytique des sciences de données.

Q. L. : Comment se positionnent le Québec et le Canada au niveau des programmes d’études en santé numérique ?

A. M. : On est une des rares provinces du Canada à ne pas avoir de maîtrise dans le domaine de la santé numérique. C’est un programme certifié aux États-Unis, où l’informatique est une spécialité médicale de la santé. En Europe, c’est très structuré, très organisé, il y a beaucoup de programmes de formation, mais c’est très hétérogène selon les pays. L’Ontario et la Colombie-Britannique sont très avancés dans le domaine.

On a répertorié presque 200 outils au Canada pour aider les médecins à intégrer la téléconsultation dans leur pratique, et au Québec, il n’y a presque rien. Le collège des médecins y est déontologique. On a peur de faire des erreurs. On est moins enclin à se demander comment faire pour mettre en œuvre les outils dans les cliniques, pour avoir un meilleur service pour la population, pour que ce soit plus agréable pour tout le monde, etc. On n’a pas une très grande maturité numérique dans le domaine de la santé, peu d’acteurs occupent le champ et aident à outiller. C’est plus long et difficile.

*Le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) est un virus épidémique de la famille des coronavirus, apparu en 2002 en Chine.