La recherche scientifique des femmes à travers la BD

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Par Juliette Straet
lundi 12 février 2024
La recherche scientifique des femmes à travers la BD
Au total, 21 duos de chercheuses et d’illustratrices ont pu collaborer pour vulgariser leurs recherches scientifiques sous forme de bande dessinée. crédits : Juliette Diallo
Au total, 21 duos de chercheuses et d’illustratrices ont pu collaborer pour vulgariser leurs recherches scientifiques sous forme de bande dessinée. crédits : Juliette Diallo
Rendre la science accessible au grand public, c’est l’objectif de l’exposition « Chercheuses en BD ». Celle-ci illustre le parcours et le travail de femmes scientifiques au travers de bandes dessinées créées par des illustratrices québécoises et françaises.
« Le double défi était de simplifier suffisamment l’information, tout en restant scientifiquement correct. Il faut rendre justice à la science. »
Audrey Laventure, Professeure adjointe au Département de chimie de l’Université de Montréal

« Quand on nous demande, en tant que chercheuse ou professeure, comment on peut sortir la science des laboratoires, il faut prendre en compte qu’on peut utiliser la BD comme médium », explique la professeure adjointe au Département de chimie de l’UdeM Audrey Laventure.

« Chercheuses en BD » est née d’une initiative conjointe entre le Consulat général de France à Québec et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, en partenariat avec le Festival BD de Montréal.

Au total, 21 duos d’illustratrices et de chercheuses dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM) ont uni leur talent et leurs connaissances pour faire découvrir la diversité du monde scientifique. De la biologie moléculaire à l’océanographie, en passant par la pharmacométrie, chaque œuvre aborde des angles de recherche pointus.

Pour Mme Laventure, développer de nouveaux supports pour expliquer des sujets complexes est nécessaire. Ces moyens qui lui ont souvent manqué lors d’activités de vulgarisation au secondaire ou au cégep permettent d’amener des éléments visuels. 

« La bande dessinée, ça attire l’œil du grand public et ça donne le goût de s’y intéresser », souligne la bédéiste, illustratrice et scénariste québécoise Stéphanie Milot, qui a collaboré avec Mme Laventure.

Simplifier la science

« Le double défi était de simplifier suffisamment l’information tout en restant scientifiquement correct, précise Mme Laventure. Il faut rendre justice à la science. » La vulgarisation des recherches de la professeure sur l’impression 3D de matériaux polymères organiques a demandé un vrai travail d’équipe et beaucoup de communication entre les deux femmes pour résumer ce sujet complexe de la manière la plus accessible possible.

Habituée au travail de vulgarisation, Mme Milot explique que la première étape a été « de comprendre soi-même le sujet ». Elle a aussi fait appel à des images de référence et à des supports visuels. La dernière étape a consisté à trouver des stratégies pour alléger le sujet, tout en gardant la base scientifique et en respectant les codes de la bande dessinée.

Réussir à sélectionner les informations les plus pertinentes a été la principale difficulté. Au total, 21 duos de chercheuses et d’illustratrices ont pu collaborer pour vulgariser leurs recherches scientifiques sous forme de bande dessinée. « C’était vraiment un challenge de mettre mon dessin au service d’un autre profil pour raconter son parcours », se souvient la bédéiste. « Le double défi était de simplifier suffisamment l’information, tout en restant scientifiquement correct. Il faut rendre justice à la science. » Audrey Laventure Professeure adjointe au Département de chimie de l’Université de Montréal.

Malgré ces contraintes, les illustratrices déclarent avoir gardé une grande liberté artistique et créative, qui se ressent lors de la visite de l’exposition. L’univers habituellement sérieux et complexe des sciences laisse place à une atmosphère ludique.

La diversité au cœur de l’exposition.

L’objectif de « Chercheuses en BD » est aussi de mettre en valeur les parcours de femmes qui œuvrent dans le domaine scientifique d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle Mme Nekka a décidé de participer. « Ça va servir de modèles pour les femmes, c’est une noble cause qui vaut la peine de s’investir », estime-t-elle. Selon la professeure, les sciences peinent encore à attirer les femmes, et ce, particulièrement dans son milieu, les mathématiques.  Elle est notamment très sensible à leur utilité pour les autres sciences. Avoir des femmes en sciences est essentiel, d’après elle, car « [leur] façon de faire de la recherche est différente ».

D’après son expérience, les femmes sont généralement plus attentives aux liens d’intégration entre les différentes disciplines. C’est d’ailleurs ce qui caractérise le parcours de cette scientifique aventurière, qui a créé la première équipe de pharmacométrie au Canada, une discipline associant les mathématiques fondamentales aux sciences pharmaceutiques. « On a tous besoin d’un modèle auquel on croit », ajoute Mme Nekka.

Mme Laventure explique qu’avoir une diversité d’exemples dans lesquels les jeunes peuvent se projeter est important. Elle se souvient que plus jeune, à défaut de modèles scientifiques dans son entourage, elle avait pu s’initier à la science grâce aux bandes dessinées du magazine scientifique pour enfants Les Débrouillards.  L’exposition vise également à inspirer les jeunes, particulièrement les jeunes femmes, à se lancer en sciences.

Pour mettre en lumière le travail des femmes dans le milieu, les différentes bandes dessinées ont des styles graphiques particulièrement variés. « Quand je vois des styles différents, je comprends que je n’ai pas besoin de rentrer dans un moule pour faire ce que j’aime », confie Mme Milot. En tant qu’illustratrice, ces derniers lui donnent l’occasion de développer son art. Après avoir longtemps cherché la perfection du trait, elle explique qu’elle a appris à accepter la beauté dans l’imperfection du dessin.

Pour Mme Boulanger, pouvoir se retrouver dans le dessin et conserver son univers « naïf » et coloré était également primordial.

Un projet inspirant sur plusieurs plans

Les initiatives de mobilisation de connaissances se font de plus en plus nombreuses dans le monde universitaire. Par l’entremise de « Ma thèse en 180 secondes » et du « Concours interuniversitaire de BD », les deux professeures de l’UdeM encouragent leurs étudiant·e·s à s’essayer à la vulgarisation scientifique. D’ailleurs, des subventions existent à l’UdeM pour soutenir ce type de projet.

La première édition de « Chercheuses en BD », en 2022, comptait 11 duos de chercheuses et d’illustratrices. Un an et demi plus tard, 42 femmes ont répondu à l’appel pour y collaborer et créer 21 œuvres uniques. 

Comme le souligne Mme Milot, « c’est impressionnant de voir qu’il y a encore autant de monde pour participer à ce projet ». Cette participation témoigne de l’engouement grandissant pour la vulgarisation scientifique. 

La réalisation des planches de bande dessinée a inspiré les participantes rencontrées. Mme Nekka souhaite que des bandes dessinées représentant des parcours comme le sien puissent être distribuées dans les écoles afin d’encourager les jeunes à poursuivre une carrière dans les sciences. Elle aimerait également pouvoir traduire en arabe et en anglais la planche qu’elle a réalisée en collaboration avec Mme Boulanger pour la distribuer en Algérie, son pays natal.

Mme Laventure envisage pour sa part de lancer des projets de vulgarisation qui mettraient en relation des étudiant·e·s de l’UdeM de diverses facultés afin de promouvoir le partage de connaissances et d’expertises. Dans le futur, Mme Milot projette quant à elle de travailler sur une bande dessinée de vulgarisation plus longue, dotée d’une narration plus complète.

Après son lancement à l’UdeM, l’exposition sera présentée au Centre des sciences de Montréal en février et à l’Université du Québec en Outaouais en mars prochain. Elle sera ensuite accueillie par le Festival BD de Montréal en mai.