La patte de l’expert

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Par Edouard Ampuy
jeudi 31 janvier 2019
La patte de l’expert
Marina Cayetano Evangelista a effectué sa formation de vétérinaire à l’Université de Sao Paolo. Photo : Benjamin Parinaud.
Marina Cayetano Evangelista a effectué sa formation de vétérinaire à l’Université de Sao Paolo. Photo : Benjamin Parinaud.
Décrypter les grimaces des chats, c’est le défi de la vétérinaire et étudiante au doctorat à l’UdeM Marina Cayetano Evangelista. Elle a étudié 70 chats pour développer une « échelle de grimaces félines » qui mesurera la douleur chez le félin.

Quartier Libre : Comment met-on au point une échelle pour évaluer la douleur chez le chat ?

Marina Cavetano Evangelista : Pour arriver à développer cette échelle, j’ai observé, en prenant des vidéos et des photos, tous les chats qui sont arrivés au CHUV (Centre hospitalier universitaire vétérinaire) de la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe pendant dix mois, de février à novembre 2017. Ils appartenaient à des clients qui m’ont donné leur consentement pour que je les étudie. J’ai ensuite comparé leurs expressions faciales avec celles de chats en bonne santé. J’ai évalué 50 chats souffrants, 20 en bonne santé, et c’est l’étude comparative de ces deux groupes qui m’a permis de développer cette échelle de la douleur. Je l’ai appelée l’échelle de grimaces félines.

Q. L. : Y a-t-il des critères spécifiques ?

M.C.E. :Les critères faciaux observés sont : les oreilles, les yeux, le museau, les moustaches et la position de la tête par rapport aux épaules. Chacune de ces cinq catégories reçoit une note de 0, 1 ou 2, ce qui donne à la fin un résultat sur 10. Plus le score est proche de 10, plus le chat ressent la douleur. Un suivi était en place. Les chats qui souffraient ont reçu des analgésiques, puis il y a eu une nouvelle phase d’observation pour savoir si l’effet du traitement diminuait le score de la douleur. Les vétérinaires auront ainsi la capacité de mesurer la douleur plus précisément et pourront aider les chats souffrants en les traitant de façon adéquate.

Q.L. : Pourquoi avoir décidé de se lancer dans la création de cet outil ?

M.C.E. : C’est après mon arrivée à Montréal en 2016, pour commencer mon doctorat, que l’idée du projet m’est venue. Nous avons choisi conjointement avec mon directeur de recherche, le professeur de la Faculté de médecine vétérinaire Paulo Steagall, de créer cet instrument de mesure. Il existe déjà des échelles de la douleur chez d’autres espèces animales comme la souris, le lapin, le rat, le cheval et le mouton, qui ont été publiées au cours des sept dernières années. C’est un sujet qui est vraiment sous le feu des projecteurs. Les chercheurs font plus attention aux expressions faciales, car il s’agit d’un moyen simple, pratique et fiable pour mesurer la douleur. Surtout, cette méthode d’observation ne dépend d’aucun équipement et ne nécessite pas de formation technique approfondie.

Q.L. : Pourquoi ne pas utiliser de paramètres biologiques classiques comme le rythme cardiaque, la respiration ou la chaleur du corps, plutôt que les expressions faciales ?

M.C.E. : Il y a d’autres échelles qui utilisent ces paramètres, mais elles ne sont pas très fiables pour mesurer la douleur de façon isolée. Le stress ou la peur peuvent également causer une augmentation de la fréquence cardiaque.

On pense que le chat n’est pas très expressif, mais en faisant attention, il est possible d’observer des petits changements d’expression quand il ressent la douleur. Par exemple, les oreilles sont baissées et tournées vers le côté, les yeux sont mi-clos, les traits du visage sont tendus, le museau est moins arrondi et la tête est enfoncée dans les épaules.

Q.L. : Est-ce que l’échelle sera disponible pour le grand public ?

M.C.E. : Nous avons utilisé et validé l’échelle auprès de différents observateurs et professionnels vétérinaires, en nous basant sur les photos et les vidéos. Il faut maintenant qu’elle soit évaluée en temps réel. Ensuite, je souhaite publier, d’ici deux à trois mois, un article en anglais contenant la version complète de l’échelle, dans une revue scientifique en libre accès. Une fois qu’il sera sorti, les vétérinaires pourront accéder à l’échelle et l’utiliser en clinique, et le grand public pourra également la consulter.

Néanmoins, je ne sais pas si le propriétaire ordinaire d’un chat pourrait présentement l’utiliser pour savoir s’il doit amener son chat chez le vétérinaire ou non. En simplifiant l’échelle, on pourrait arriver à ça, mais pour l’instant, elle est un peu trop complexe.

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