Culture

La parole vivante de Lau

Passer de la scène à l’écrit semble un trajet non conventionnel dans un processus de création artistique. C’est pourtant ce qu’a fait la comédienne et animatrice de radio Marie-Pier Audet en adaptant sa pièce de théâtre Lau, créée en collaboration avec l’artiste pluridisciplinaire Katherine IS, dans un format littéraire, sous le titre Pleurer la tête sous l’eau. Publié aux Éditions Planète rebelle, ce monologue d’à peine 53 pages en dit beaucoup en peu de mots.

Résumé

À travers le flot de pensées de Laura, aussi surnommée Lau, nous découvrons que les choses ne vont pas bien dans la vie de la protagoniste : elle est en lendemain de veille, le deuil de sa mère continue de la troubler, même si celle-ci est décédée depuis plusieurs années, et sa relation amoureuse bat de l’aile. Malgré ses tourments, Lau s’exprime avec beaucoup d’autodérision, un remède passager pour certaines douleurs trop vives.

Réinventer l’écriture de l’oralité

Dès le début du livre, une convention très claire est établie : la mise en forme rappelle celle de la poésie. Le texte ne contient aucun chapitre, saut de page, ou signe de ponctuation. Ces derniers sont tous remplacés par des sauts de ligne ou par des petites images représentant la lune pour les changements de scène, ce qui donne un format très aéré. L’écriture n’est quant à elle pas sans rappeler celle des textos. Ces choix ramènent à la collection « Ce qui se dit, pis s’écrit et pis se lit » de la maison d’édition Planète rebelle, une collection qui cherche à mettre en avant la langue parlée. En effet, les sauts de ligne constants imposent des micropauses de lecture et ressemblent aux pauses naturelles quand une personne s’exprime. Le lecteur peut réellement se sentir dans le flot de pensées de Lau.

Ajoutés à ces effets de style, deux types d’écriture nous sont proposés tout au long du récit : les pensées internes de Laura sont représentées en caractères romains tandis que les paroles prononcées à voix haute sont rédigées en italique. Cette mise en évidence des discours interne et externe, qui traversent le personnage, rend la lecture dynamique et nous permet de plonger efficacement dans l’histoire. En voici un bref exemple :

Style d’écriture dans le bouquin

Écrire en québécois

En plus de ces mises en forme, le niveau de la langue, en français québécois actuel, permet d’incarner le personnage de Laura. Certains passages sont peut-être plus difficiles à comprendre pour les non-initiés, mais, en général, ce choix de mettre à l’écrit les expressions et manières de parler « à la québécoise » est réjouissant. Tout comme le dramaturge Michel Tremblay a revendiqué le joual comme langue légitime, Mme Audet inscrit son texte dans la continuité de cet élan entamé il y a presque 60 ans. L’utilisation d’élisions (« J’parle ») et d’expressions colloquiales (« Solide ») est constante, à l’image de l’extrait suivant :

« J’essaye de composer son numéro

J’accroche trois chiffres en même temps

Finalement Vaness le fait pour moi

Boîte vocale

J’laisse un message

J’parle en lettre attachées »

Rire plutôt que pleurer

L’humour de l’œuvre de Mme Audet se retrouve autant dans les figures de style et dans les anecdotes elles-mêmes que dans la manière que Lau a d’appréhender les situations. Ce ton tragicomique rend le récit divertissant et permet aussi à l’auteure de nous amener à la fois dans des zones d’ombre et de lumière, de nous faire passer du rire aux larmes, et ce, en peu de mots. 

Il y aurait beaucoup à dire sur cette œuvre bien agréable à lire, quoique trop brève, qui propose une récurrence d’éléments aqueux tout au long de l’histoire : l’anecdote au lac, le nom de la protagoniste, la tristesse noyée dans l’alcool, entre autres. Voir comment l’eau sera intégrée dans la mise en scène de la version théâtrale du texte cet automne au théâtre Duceppe sera d’ailleurs intéressant. Nous pouvons aussi nous interroger sur la façon dont seront traités les changements rapides entre les dialogues interne et externe, et comment la comédienne Marie Bernier interprétera le personnage de Laura. Au cours de la lecture de Pleurer la tête sous l’eau, nous pouvons nous imaginer notre propre version de Lau, sa manière de parler, le son de sa voix, ses intonations. Avoir lu le livre avant de voir la pièce n’est pas nécessaire, mais, en cas de manquement du spectacle, il est assez évocateur pour se plonger dans l’univers de Lau. 

AUDET, Marie-Pier. Pleurer la tête sous l’eau. Montréal, Les éditions Planète rebelle, 2023, 53 p.

En librairie depuis le 5 septembre 2023, également offert en ligne.

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