«Ma levée de fonds a déjà dépassé les 200 % », s’exclame Laurence. Son projet de financement en ligne, lancé le 17 février, a franchi le seuil de 3 500 $ en moins de 24 heures. Le 12 mars, 190 contributeurs ont participé à hauteur de 8 200 $, permettant à la musicienne d’accéder à l’une des meilleures qualités d’enregistrement pour son album studio.
« Les gens sont là pour la musique elle-même, parce qu’elle les a marqués, se réjouit celle qui vient tout juste d’obtenir son doctorat à l’UdeM. Ils veulent voir cet album réalisé. » En arrangeant, en improvisant et en ajoutant des compositions aux musiques de jeux vidéo qu’elle interprète, Laurence suscite autour d’elle un engouement fort.
Un genre en plein boom
La post-doctorante à la Faculté de musique de l’UdeM Irina Kirchberg observe également cette effervescence. « Il y a un vrai public pour ce type de musique », indique celle qui est également clarinettiste pour l’Orchestre de jeux vidéo, composé d’amateurs confirmés et passionnés de gaming. « Le phénomène, c’est la multiplication des concerts qui lui sont consacrés et qui brassent un public totalement différent de celui de la musique classique », ajoute-t-elle. Irina souligne que des vocations se créent même autour de cette forme d’expression. « J’appelle ça une « carrière d’auditeurs », dit la post-doctorante. Il y a des musiciens ou même des chefs d’orchestre qui se spécialisent dans ce style aujourd’hui. » Avec la création de maisons de production et d’organismes, il y a, selon elle, un réel développement dans ce milieu.
Cette tendance, le professeur de composition pour l’écran à l’UdeM François-Xavier Dupas l’a également remarquée. « Ma compagnie de musique à l’image a vu certaines de ses productions jouées par l’Orchestre métropolitain l’année passée, fait-il remarquer. Et petite anecdote, notre musique pour le jeu Ultimate Chicken Horse s’est vendue à des dizaines de milliers d’exemplaires. Cette musique peut donc très bien vivre par elle-même. »
Selon lui, la musique n’était, au début, qu’un élément avec lequel les programmeurs avaient bataillé, faute d’espace de stockage et de connaissances en la matière. « Nintendo est la première entreprise à avoir fait de la musique une culture à part, avec Mario ou encore Zelda, » explique-t-il. Elle est inhérente à l’expérience de jeu, selon lui, ce qui peut créer un attachement très fort à celle-ci.
Les défis de la composition
« L’enseignement de la composition pour les jeux vidéo reste toutefois quelque chose d’assez récent, indique M. Dupas. L’UdeM est la première université à avoir incorporé une formation de composition de musique à l’image pour ce médium. » Il met également en avant le terreau fertile que constitue la ville de Montréal pour développer cet apprentissage.
« La composition pour les jeux vidéo diffère de celle pour le cinéma, explique le professeur. Les contraintes sont en grande partie techniques. Nous devons prendre en compte l’espace de stockage mis à notre disposition, mais aussi l’interactivité. » Par interactivité, M. Dupas entend l’immersion et la réaction de la musique aux actions du joueur. Il souligne à cet effet que la synchronisation à l’image n’est pas aussi cruciale que dans le cinéma, et que le travail de composition commence très tôt dans le processus de production. « Le compositeur de musique de film arrive souvent devant une image finale, note-t-il. De notre côté, avec le concept et quelques images, nous pouvons déjà commencer à travailler. »
Selon lui, l’important est d’immerger le joueur dans le jeu. « Avec une bonne musique de jeux vidéo, les joueurs vont naturellement faire des neuro-associations entre la musique qu’ils entendent et leurs émotions. »
Ces thèmes, d’après Laurence, se répéteront à de nombreuses reprises et se doivent d’être les plus accrocheurs possible. La docteure rencontre également différents défis lorsqu’elle décide de réarranger une composition pour piano. « Les arrangements doivent retranscrire l’esprit originel de la composition, tout en apportant quelque chose », indique-t-elle, précisant que l’enjeu réside dans l’habillement du thème, car les arrangements ne sont pas toujours très développés. « Il y a donc un travail de composition important lorsque j’adapte certaines musiques 8 bits [voir encadré], comme celles des vieux Zelda », conclut-elle. La musicienne pourra s’essayer à l’exercice lors de ses séances d’enregistrement en studio, les 6 et 7 avril prochains.