La mauvaise réputation

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Par Patrick MacIntyre
jeudi 21 mai 2015
La mauvaise réputation
Crédit photo: Flickr/Université de Montréal Relations de presse
Crédit photo: Flickr/Université de Montréal Relations de presse

« La sociologie du football. À l’université.

Tu vas étudier la sociologie du football ? C’est merveilleux ça, aller sur les bancs de l’université ! Et toi, Thomas ?

Moi, euh… eh bien… Je suis un diplôme d’études collégiales en technique du meuble et ébénisterie.

Ah… Et ça ne te tente pas d’aller à l’université un beau jour ?

Vous êtes au moins la 37e personne à me poser la question. »

Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence : l’homme n’est plus un loup, mais bien un mouton pour l’homme.

Quel est le parcours idéal à imaginer pour Thomas ? « Jeune homme dans la vingtaine, Thomas mange indien deux fois par semaine et écoute de la synthpop, parce que c’est in. Il poursuit un baccalauréat en animation et recherches culturelles À L’UNIVERSITÉ sans savoir quel poste il veut occuper plus tard, mais ce n’est pas grave, car pour l’instant, c’est ben l’fun. »

Thomas devrait être son propre cliché, ou plutôt, celui imaginé par les têtes bien pensantes qui l’entourent. On est en 2015, à Montréal, une ville branchée, une ville universitaire : mon fils, mon ami, mon chum, ira donc s’épanouir à l’université et mènera une vie typique d’étudiant. Après tout, il a les compétences pour le faire !

Dans un article publié le 12 mai dernier sur le site internet du Journal Métro, le chroniqueur Mario Charette cite un rapport daté de mars 2015 qui suggère de réduire de 30 % le nombre d’étudiants universitaires. Ce rapport* ne révèle rien de très nouveau selon le chroniqueur, mais aurait surtout retenu l’attention des médias pour une déclaration-choc.

Déclaration-choc dans 3, 2, 1 : trop de jeunes choisiraient d’aller à l’université plutôt que de suivre une formation technique dans un collège. Un choc… Ah ? Dans un monde où les études supérieures sont tranquillement installées sur leur piédestal, oui, cette affirmation semble faire tache.

L’université est-elle une fatalité pour tous les jeunes ? La voici, ma propre phrase-choc. Elle vous dit quelque chose ? Pas étonnant, cela fait des lustres qu’on nous la martèle, mais à l’affirmative. Qu’on nous répète, en somme, que tous les jeunes doivent faire des études supérieures.

Pourtant, non, tout le monde n’est pas fait pour l’université, et beaucoup de jeunes réalisent sur les bancs de celle-ci qu’ils n’ont pas choisi la bonne orientation. Quoi de plus normal ? Surtout lorsque l’on sait que dès l’âge de 15 ans, ces derniers doivent déjà se positionner sur leur avenir. À 15, 18, 20 ans, saviez-vous quelle était votre vocation ? Et qu’en est-il ou qu’en sera-t-il même à 30 ou 40 ans ?

Dans un article de Quartier Libre du 1er octobre 2014 intitulé « Des crayons aux boulons », il était question des étudiants universitaires qui décident de se réorienter vers un diplôme d’études professionnelles. Parmi eux, beaucoup étaient malheureux à l’université et ne se retrouvaient plus dans leur choix de carrière.

Bien que ces cas ne soient pas monnaie courante, ils traduisent une sorte de « mal de l’université » qui est loin d’être à blâmer.

Malgré cela, l’université demeure une établissement noble qui forme des libres-penseurs, et ne doit pas être uniquement perçue comme un lieu formant des travailleurs me direz-vous. Votre amie Stéphanie, qui a passé l’examen du Barreau et traîne à son pied un véritable boulet, une dette de 17 000 dollars, a eu la chance de s’épanouir intellectuellement, en plus d’acquérir des connaissances importantes.

Mais elle a beau croire en sa bonne étoile, pour l’instant, aucun bureau d’avocats n’est prêt à lui ouvrir ses portes pour un stage. Aujourd’hui, un peu lasse, Stéphanie n’est plus certaine de vouloir porter la toge, et songe même à se réorienter.

On peut finalement se demander si le rôle que joue l’université dans notre société en 2015 est le même que celui qu’elle jouait à la fin des années 1990. À l’heure où une multitude d’informations sont à la portée de tous, est-elle encore le seul lieu où nous pouvons développer notre libre arbitre ? Est-elle encore un passage obligé pour se forger un esprit critique et se trouver un emploi à la clé ?

À ceux qui répètent « Non à la marchandisation du savoir ! », « L’université permet le développement de l’individu comme membre de la société », il est peut-être temps de réaliser que ces affirmations, pleines de bon sens, semblent induire qu’à l’inverse, la formation technique professionnelle ne permet pas à un étudiant de s’épanouir tant que ça. Qu’elle répondrait simplement à un besoin spécifique sur le marché du travail, à un besoin économique.

Un peu comme Stéphanie, qui s’est convaincue d’étudier en droit il y a quelques années, Thomas devrait-il écouter les on-dit sur son diplôme d’études collégiales et décider ensuite de se « ranger » du côté de l’université ? Il sera sans doute heureux d’avoir vécu cette expérience universitaire, qui lui aura ouvert les yeux sur d’autres centres d’intérêt. Heureux oui… mais pas épanoui, et il se réorientera. Le jeu en vaut-il la chandelle ?

« Non, les braves gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux », disait Brassens.

Les petites phrases assassines coûtent parfois très cher.

 

* Career Ready: Toward a national strategy for the mobilization of Canadian potential. Rapport produit à la requête du Conseil canadien des chefs d’entreprise. Réalisé par le professeur à l’Université de Saskatchewan et titulaire de la chaire du Canada en innovation régionale Ken Coates. Ce rapport traite de « l’adéquation entre la formation universitaire et le marché du travail ». Source : Journal Métro